Le viol collectif et le meurtre d'une adolescente ont choqué l'Afrique du Sud. Le pays ouvre les yeux sur son «épidémie» de violences sexuelles.

Le calvaire d'Anene Booysen, 17 ans, force l'Afrique du Sud à se regarder en face. Il y a 12 jours, cette adolescente a été brutalement agressée dans la petite ville de Bredasdorp, au sud-est du Cap. Ses assaillants l'ont violée et laissée pour morte sur un chantier de construction, éviscérée, la gorge tranchée. Découverte par un agent de sécurité, elle succombera à ses blessures peu de temps après son transport à l'hôpital. Deux jeunes hommes ont été arrêtés pour le meurtre, dont l'ex-petit ami de la victime. Ce fait divers provoque la colère des Sud-Africains et a entraîné une vague de protestations. Une journée d'action nationale contre les violences faites aux femmes est prévue aujourd'hui.

L'Afrique du Sud a le taux le plus élevé de viols dans le monde. L'année dernière, près de 65 000 plaintes ont été enregistrées dans ce pays de 52 millions d'habitants. Mais moins d'un cas sur dix serait déclaré. Un homme sud-africain sur quatre admet avoir déjà violé une femme. La majorité des agressions ont lieu au sein de la cellule familiale ou de l'entourage proche, et sont souvent passées sous silence.

Une véritable crise qui attire pourtant rarement l'attention, que ce soit auprès du public ou des politiciens. Alors pourquoi cette flambée de colère maintenant? Probablement parce que la coupe était pleine. L'indignation provoquée par la mort d'Anene Booysen est peut-être aussi liée à l'attention suscitée récemment par un viol collectif similaire en Inde, qui avait amené des milliers de personnes à descendre dans la rue.

À long terme

Néanmoins, les associations d'aide aux victimes s'accordent pour dire que seule une action à long terme sera efficace. «Les Sud-Africains semblent enfin se réveiller», explique dit Mbuyiselo Botha, de l'association Sonke Gender Justice Network, qui oeuvre pour l'égalité des sexes. «C'est très bien. Mais il faut que cela mène à une vraie volonté politique de faire changer les choses, Il faut donner plus de moyens aux associations qui travaillent avec les victimes et renforcer le système judiciaire». La Constitution de l'Afrique du Sud considère théoriquement que tous les citoyens sont égaux, quel que soit leur sexe ou leur race. Mais le gouvernement a été accusé de négliger la question des violences contre les femmes. Actuellement, seules environ 15% des plaintes pour viol mènent à un procès. Et seulement 5% de ces derniers entraîneront une condamnation.

La semaine dernière, le président Jacob Zuma - qui avait lui-même été inculpé pour viol en 2006, puis acquitté - a appelé à «imposer des peines plus lourdes pour de tels crimes [...] afin de mettre fin à ce fléau».

Les experts lient cette violence endémique à des causes profondes, dans un pays extrêmement inégalitaire, où les repères et les structures familiales ont été détruits par les années d'apartheid. «Le viol est devenu tellement commun qu'il apparaît comme une fatalité», dit Carrie Shelver, militante féministe de Johannesburg.

«Les mères enseignent à leurs filles qu'elles doivent éviter de se retrouver dans des situations à risque, plutôt que de dire à leurs fils de ne pas les brutaliser. Reste à espérer que le cas d'Anene Booysen ne deviendra pas juste un autre fait divers oublié, mais qu'il marquera le début d'un vrai changement.»