La tension monte de nouveau au Mali. Les rebelles islamistes, qui ont mis fin à un cessez-le-feu, affrontent l'armée malienne dans des villes du Sud depuis lundi. Une intervention militaire internationale doit-elle être déployée d'urgence, comme l'a suggéré à Ottawa cette semaine le président du Bénin? Parmi les experts, les avis divergent.

Lorsqu'il était otage d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), le diplomate canadien Robert Fowler a écouté ses geôliers rêver à voix haute. «Ils m'ont dit à répétition, au cours de ma captivité de 130 jours, que leur but était d'étendre le tumulte de la Somalie de Mogadiscio, sur l'océan Indien, jusqu'à Nouakchott, sur l'Atlantique.»

Depuis le coup d'État de mars dernier contre le gouvernement du Mali, l'ancien envoyé spécial des Nations unies au Niger voit les aspirations de ses anciens ravisseurs prendre forme.

En moins de deux semaines l'an dernier, les islamistes armés, qui avaient aidé les Touareg à prendre le contrôle du nord du Mali, s'y sont installés en maîtres. Ils ont imposé leurs lois draconiennes aux Maliens de Tombouctou, de Gao et des environs. Et depuis lundi, ils tentent d'agrandir le territoire, déjà grand comme la France, qu'ils contrôlent.

Quelles négociations?

Joint au téléphone hier à Ottawa, Robert Fowler estime que tout doit être mis en oeuvre pour les arrêter. Et le plus rapidement possible. «Certaines personnes pensent qu'il faut laisser le temps à la négociation [avec les rebelles islamistes]. Mais qu'est-ce qu'il y a à négocier? Leur mission leur est donnée par Dieu. Leur djihad est décrété par Dieu. Ils ne sont pas intéressés par le gouvernement de l'homme», estime M. Fowler, qui ajoute que tout délai dans une intervention militaire servira Al-Qaïda, qui en profitera pour gonfler ses rangs.

Et le Canada, dit-il, doit jouer un rôle actif. Pas nécessairement en envoyant des hommes par milliers se battre dans un désert qu'ils ne connaissent pas, mais «en fournissant l'assistance nécessaire» pour qu'une intervention militaire dirigée par les Africains réussisse à réellement affaiblir la nébuleuse Al-Qaïda et ses nombreux tentacules disparates, qui s'étendent déjà de la Somalie au Nigeria.

Le discours de Robert Fowler n'est pas sans rappeler celui du président de l'Union africaine et chef d'État du Bénin, Thomas Boni Yayi, qui, lors de son passage à Ottawa lundi, a demandé aux forces de l'OTAN d'intervenir. «J'ai été impressionné par la franchise du président. Il a dit que ce qui est envisagé pour le moment du côté africain n'est pas à la hauteur», expose Robert Fowler.

La voie des pourparlers

Selon une résolution du Conseil de sécurité adopté le 20 décembre, le plan actuel prévoit laisser le temps à la négociation, tout en renforçant l'armée malienne. Dans les mois à venir, cette armée sera à son tour soutenue par une force africaine de 3300 hommes et recevra un soutien de la communauté internationale. L'intervention armée pourrait être lancée en septembre.

Pour Robert Fowler, c'est trop peu, trop tard. Un avis que ne partage pas totalement Jocelyn Coulon, directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix, établi à l'Université de Montréal.

L'approche avancée par les Nations unies a selon lui des vertus. «L'idée est de laisser le temps aux rebelles de réfléchir. De diviser ceux qui veulent résister et ceux qui veulent négocier», note M. Coulon. Il rappelle que tout juste quelques centaines d'hommes armés règnent en ce moment sur l'immense Mali du Nord.

Il rappelle aussi que dans les pays qui entourent le Mali, tous ne sont pas en faveur d'une intervention militaire rapide. L'Algérie et la Mauritanie ne démontrent aucun enthousiasme. Et la Libye n'est pas en position de force pour attaquer.

«Il y a une réelle division sur l'approche à privilégier. Il y en a qui veulent que ça aille vite, comme le président du Bénin. Il y en a d'autres qui disent: négocions. Ça ressemble en quelque sorte à la situation avec l'Iran. Si nous avions écouté ceux qui voulaient une intervention, l'Iran aurait été attaqué il y a 10 ans», note Jocelyn Coulon.

L'expert est convaincu cependant que quelle que soit la voie empruntée, le Canada aura un rôle à jouer, et ce, même si, pour le moment, le premier ministre canadien Stephen Harper affirme qu'une mission militaire directe est exclue.