Depuis que le Mali est divisé en deux, les habitants du Nord doivent subir le joug des islamistes. La communauté internationale y voit le sanctuaire d'Al-Qaïda. Ceux qui restent vivent sous la charia, la faim au ventre.

Dans un hôpital de Gao, ville du nord du pays, le Dr Abdou Aziz Yacouba multiplie les chirurgies dans une salle d'opération sans climatisation, sans aspirateur, sans oxygène. Des pillards ont tout pris lors des combats. Depuis que le groupe islamiste Ansar Dine contrôle la ville, l'hôpital a pu difficilement reprendre ses activités, ravitaillé par des convois humanitaires en provenance du Sud.

Entre les murs de l'hôpital, toute arme est interdite. Les islamistes voulaient séparer les hommes des femmes, ce qui est impossible par manque de personnel. «Les rebelles sont devenus un peu invisibles avec le temps», dit-il, entrevu à Bamako où il était venu se reposer.

La charia

Le nord du Mali est coupé du monde depuis mars dernier. Ansar Dine et le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) se partagent le territoire. Le 26 mai dernier, les deux groupes ont annoncé leur union, une alliance qui n'a pas tenu 24 heures. Le MNLA a dénoncé par communiqué «l'intransigeance d'Ansar Dine à appliquer la charia» et soutient que des pourparlers sont engagés sans qu'il y ait accord.

Ansar Dine impose déjà la charia dans les zones qu'elle contrôle. L'alcool, le tabac, le rasage, le soccer, la télévision y sont maintenant interdits sous peine de flagellation. Les femmes n'ont plus le droit de quitter la maison, même pour aller au marché.

Niamoye Alidji a fui Tombouctou il y a trois semaines avec sa famille. Sur son téléphone, elle montre une photo de sa fille de 10 ans forcée de porter le niqab. «Elle tremblait de peur. Son niqab n'arrêtait pas de tomber.»

Les histoires fusent sur le harcèlement quotidien d'Ansar Dine. «Ils viennent vous dire comment vous comporter. C'est humiliant», explique son beau-frère, Alpha.

Des rebelles s'en sont pris à l'imam de Tombouctou pour diffuser l'appel à la prière au microphone. L'imam a demandé aux islamistes de lui montrer le verset du Coran qui l'interdit. Ils sont repartis.

L'Afghanistan africain

La communauté internationale s'inquiète de la présence d'Al-Qaïda. Le président de l'Union africaine, Thomas Boni Yayi, craint un «Afghanistan africain» et demande l'aide de l'ONU. La Communauté des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) souhaite l'envoi d'une mission militaire.

En attendant, le Nord subit de graves pénuries d'aliments, de carburant et de médicaments. Près de 160 000 Maliens ont fui la région selon l'ONU.

Les citoyens ne restent pas muets. Plusieurs manifestations ont été tenues. Mardi dernier, 300 femmes ont marché à Kidal. Réprimées par les rebelles, elles ont répondu en lançant des pierres. Les islamistes ont été obligés de se replier et de laisser les femmes circuler sans voile.

L'armée malienne s'est effondrée devant les rebelles au début de l'année. Des mutins, exigeant plus de moyens pour combattre, ont fomenté un coup d'État le 21 mars. Profitant de la confusion, les rebelles ont pris le contrôle du Nord en 48 heures.

QUI CONTRÔLE LE NORD ?

Le 6 avril, le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), un mouvement laïque et touareg, a déclaré l'indépendance de près des deux tiers du territoire malien. Elle mettait fin à quatre mois de rébellion menée par d'anciens combattants revenus de Libye bien armés et entraînés.

Depuis, une faction islamiste a pris le contrôle des villes les plus importantes: Ansar Dine (défenseur de l'islam, en arabe). Il est dirigé par un combattant touareg légendaire, Iyad Ag Ghali, qui a servi d'intermédiaire avec AQMI pour la libération d'otages, dont celle des Canadiens Robert Fowler et Louis Guay. Ansar Dine n'a jamais confirmé ou infirmé ses liens avec AQMI.

Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) a profité du conflit pour élargir sa base au Mali. Avant 2007, il était constitué de combattants salafistes algériens. Il a depuis adopté la cause djihadiste d'Oussama ben Laden. AQMI finance ses activités par l'enlèvement d'étrangers et le trafic de carburant, drogue, cigarettes, humains.

Plusieurs groupuscules ont aussi fait surface, notamment le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO) qui a revendiqué l'enlèvement de sept diplomates algériens au Mali. La secte nigériane Boko Haram et d'autres groupes étrangers ont aussi été signalés.