Des diplomates algériens ont été enlevés jeudi dans le nord du Mali, région conquise par des rebelles touareg et des islamistes en proie au chaos, au moment où une levée des sanctions imposées par l'Afrique de l'Ouest contre la junte au pouvoir depuis deux semaines est évoquée.

C'est à Gao que le consulat d'Algérie a été occupé par des islamistes armés. Maîtres de la ville, ils y ont hissé le drapeau salafiste noir et ont «arrêté des diplomates algériens», selon des témoins.

Alger a confirmé qu'un groupe d'assaillants «non identifiés» ont emmené le consul et six de ses collaborateurs «vers une destination inconnue».

La junte militaire qui a renversé le président Amadou Toumani Touré (dit ATT) le 22 mars a estimé que les populations du Nord étaient «séquestrées» par des «groupes rebelles et autres assaillants extrémistes» et les a appelées à leur «résister».

La communauté arabe de ces zones a de son côté annoncé la prochaine création d'un mouvement politico-militaire multi-ethnique pour contrer «la déstabilisation de (leurs) régions du Nord» en proie à l'anarchie et assurer la sécurité des populations, quelle que soit leur origine.

«Nous travaillons ensemble (avec la junte) pour créer les conditions de levée» des sanctions diplomatiques et économiques imposées depuis le 2 avril par la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), a déclaré le ministre burkinabé Djibrill Bassolé, émissaire de son président Blaise Compaoré, médiateur ouest-africain.

«Je pense que ce sera pour très bientôt», a affirmé M. Bassolé, promettant de prochaines annonces «dans la bonne direction» du chef de la junte, le capitaine Amadou Sanogo.

La Cédéao a également annoncé «la mise en place immédiate de la force d'attente» de l'organisation ouest-africaine, entre 2.000 et 3.000 hommes déjà en alerte. Les modalités du déploiement de cette force - dont on ignore encore si elle vise les putschistes, les groupes armés au Nord ou les deux - étaient en cours de discussion par les chefs d'état-major ouest-africains à Abidjan.

«Désastre humanitaire»

Le putsch a plongé le Mali dans une situation dramatique: des rebelles touareg et groupes islamistes ont pris en fin de semaine dernière le contrôle des trois métropoles du Nord - Kidal, Gao et Tombouctou - sans rencontrer de résistance de la part d'une armée malienne en déroute, coupant de fait le pays en deux.

Ces régions sont «au bord d'un désastre humanitaire majeur», a affirmé Amnesty international, rapportant notamment des cas de jeunes filles enlevées.

L'assistance humanitaire doit reprendre au plus vite au Mali, où la situation dans le Nord est de plus en plus critique, surtout pour les dizaines de milliers de personnes déplacées par les combats depuis mi-janvier, a dit le Comité international de la Croix-Rouge.

Les organisations Oxfam et World Vision se sont déclarées inquiètes des répercussions de l'embargo ouest-africain dans ce pays de 15 millions d'habitants déjà confronté à une crise alimentaire sévère.

Les islamistes d'Ansar Dine, dirigés par le chef touareg Iyad Ag Ghaly, et des éléments d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) ont pris le dessus sur le Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA), qui a annoncé mercredi soir un cessez-le-feu unilatéral.

«En réalité», selon une source militaire malienne, «le MNLA ne commande rien actuellement» dans le Nord, «c'est Iyad (Ag Ghaly) qui est le plus fort, et il est avec Aqmi».

Cela a été confirmé à l'AFP par le colonel-major Alaji Ag Gamou, un Touareg pilier de l'armée dans le nord du Mali qui avait annoncé fin mars sa désertion de l'armée pour le MNLA et a assuré jeudi soir depuis le Niger être loyaliste et avoir prétendu l'inverse pour pouvoir sauver ses quelque 500 hommes.

«C'est par ruse que j'avais annoncé mon adhésion» au MNLA, «j'étais encerclé par l'ennemi. (...) Dans le nord de notre pays, nous n'avons pas à faire au MNLA. Le MNLA n'existe pas. Nous avons à faire à Al-Qaïda avec les moyens de plusieurs armées», a-t-il soutenu.

Un chef arabe du nord du Mali avait aussi évoqué jeudi sur Radio France Internationale (RFI) le rôle-clé des jihadistes dans la région et la présence de deux des principaux chefs d'Aqmi à Tombouctou, sous contrôle d'Ansar Dine et ses alliés d'Aqmi.

Cette prééminence des islamistes sur le terrain, voulant imposer la charia, inquiète l'ONU, les États-Unis et la France. Tous ont appelé à un cessez-le-feu et condamné les violences dans le Nord, qui ont poussé des centaines de personnes à fuir les zones devenues inaccessibles à la presse et aux organisations internationales.

D'après la junte, les nouveaux maîtres du Nord ont commis «de graves violations des droits de l'Homme», dont des viols, particulièrement à Gao.

De nombreux habitants ont fait état de saccages et pillages à Gao et Tombouctou. Selon des témoins, des centaines de civils ont quitté Tombouctou depuis mercredi soir, essentiellement pour la Mauritanie et le Burkina Faso voisins.

Le chef de la diplomatie française Alain Juppé a évalué jeudi à «un petit millier» le nombre de combattants touareg et islamistes dans la région, estimant toutefois qu'il n'y a pas de «solution militaire» aux revendications des Touareg.

Le président français Nicolas Sarkozy a qualifié de «scandale» la destitution du président ATT, soulignant que Paris était «extrêmement préoccupé par la situation sécuritaire».

Les États-Unis entendent maintenir la pression contre les responsables du putsch dans l'espoir que ces derniers rétablissent un gouvernement civil.

La «convention nationale» initialement prévue jeudi par les putschistes pour fixer les termes de leur transition a été reportée sine die pour mieux la préparer, selon la junte.