Il y a encore trois mois, la rockstar Bono, leader du groupe U2, venait y chanter dans les dunes pour le «Festival du désert» devant quelques Occidentaux fortunés. Le drapeau noir des djihadistes flotte aujourd'hui sur Tombouctou, ville mythique du Nord malien et haut lieu du tourisme.

«Tombouctou a passé sa première nuit sous la charia (loi islamique), tout est calme dans la ville», raconte mardi matin à l'AFP un fonctionnaire, Saliou Thiam, interrogé au téléphone depuis Bamako.

Selon des sources concordantes, le groupe armé islamiste Ansar Dine et des éléments d'Al-Qaïda au Maghreb (AQMI) ont pris lundi le contrôle de la ville historique aux portes du Sahara, à environ 800 km au nord-est de la capitale.

Tombouctou, dernière garnison gouvernementale dans la partie nord du pays, avait été capturée la veille par plusieurs groupes rebelles touareg. La ville est tombée quasiment sans combattre après des négociations avec la communauté arabe locale.

Le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), mouvement laïque et principale composante de la rébellion, et Ansar Dine ont participé à l'assaut, à côté des habituels trafiquants et groupes plus ou moins identifiés qui composent la rébellion.

Mais quelques heures plus tard, les hommes d'Ansar Dine, dirigé par leur chef, le Touareg Iyad Ag Ghaly, ont expulsé le MNLA des rues de la ville pour y imposer l'ordre islamique.

«Ils sont venus avec cinquante véhicules. Ils ont pris la ville, chassé les gens du MNLA et brûlé leur drapeau, pour mettre à la place le leur sur le camp militaire de la ville», explique Moussa Haïdara, caméraman, qui a filmé l'entrée du convoi dans l'agglomération.

L'adjoint d'Iyad, qui parlait en français, a affirmé que des Somaliens, des Nigérians, des Tunisiens figurent parmi les hommes d'Ansar Dine, «et que tous sont pour l'islam», a raconté ce même caméraman.

Figure des rébellions touareg des années 1990, Iyad Ag Ghaly se bat aujourd'hui pour l'application de la charia au Mali par «la lutte armée».

À son entrée dans Tombouctou, il était apparemment accompagné d'un des chefs historiques d'AQMI, l'Algérien Mokhtar Belmokhtar, selon des sources sécuritaires régionales.

Surnommé «Belawar» (ou «Louar», le Borgne), Mokhtar Belmokhtar, a à son actif d'innombrables faits d'armes, attentats, enlèvements -essentiellement d'Occidentaux- et divers trafics.

Selon l'agence d'information en ligne mauritanienne Al-Akhbar, un autre chef d'AQMI, Yahya Abou Al-Hammam, s'est installé en ville.

Manuscrits précieux

C'est une victoire militaire, mais le symbole est encore plus fort: Tombouctou devient la première ville d'importance au Sahel à tomber entre les mains des islamistes radicaux et de la mouvance djihadiste.

À la lisière du Sahara, «la Perle du désert» est inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. Elle fut longtemps un grand centre intellectuel de l'islam et une cité florissante, à son apogée au XVIe siècle. Des dizaines de milliers de manuscrits témoignent de cette splendeur passée.

Avec ses portes richement ornées, ses maisons au style soudanais et aux frontons ouvragés au milieu des dunes, elle était jusqu'à l'émergence d'AQMI une étape incontournable pour les touristes venus à la rencontre des Touareg.

L'UNESCO a exprimé mardi sa préoccupation devant les risques que font peser les combats autour du site de Tombouctou.

«J'appelle les autorités maliennes et les factions belligérantes à respecter le patrimoine et les engagements du pays en tant que signataire de la convention de 1972 sur le patrimoine mondial», a déclaré la directrice générale de l'UNESCO, Irina Bokova, dans un communiqué.

«Iyad AG Ghaly a rencontré hier soir (lundi) les imams de la ville. Il a expliqué qu'il n'est pas venu pour l'indépendance, mais pour l'application de la loi islamique», témoigne le fonctionnaire déjà cité.

Des délégués d'Ansar Dine ont organisé des prêches dans deux quartiers pour y vanter les «bienfaits» de l'islam, selon un témoin, qui a reconnu parmi les prêcheurs deux Nigérians.

«Mon père fait partie des imams qui ont été reçus par Iyad et sa délégation. Il a été question d'islam (...), ils ont dit qu'ils allaient "lutter à mort" contre ceux qui veulent parler de création d'une république».

Les hommes d'Ansar Dine et d'AQMI ont lancé une opération de récupération des biens pillés, et invité les propriétaires à venir les récupérer, selon un témoin.

Ils ont eu un certain succès en arrêtant des pillards et en les traînant ligotés dans la ville, des jeunes qui étaient sur le point d'incendier la direction de la société d'énergie du Mali (EDM). Ils ont menacé la prochaine fois de couper la main des voleurs.

Les quelques femmes qui sortent dans la ville ont abandonné le pantalon et sont désormais toutes voilées.