Sa candidature à un nouveau mandat avait suscité inquiétudes et violences meurtrières: en reconnaissant sa défaite face à Macky Sall avant même la publication des résultats officiels, Abdoulaye Wade a tenté de se rattraper en se plaçant dans la tradition démocratique du Sénégal.

«Je ne ferai pas moins que (Abdou) Diouf», son prédécesseur qui l'avait appelé pour le féliciter lors de sa première élection triomphale en 2000, n'avait cessé de marteler durant la campagne électorale le président Wade.

Promesse tenue: trois heures et demie après la fermeture des bureaux de vote, il a appelé dimanche soir M. Sall pour le «féliciter» de sa victoire au second tour de la présidentielle et lui souhaiter «bonne chance afin qu'il réussisse sa mission à la tête du Sénégal».

En téléphonant à Macky Sall, le président Wade «a respecté sa parole, son engagement devant le peuple», écrit le quotidien pro-gouvernemental Le Soleil.

Pour Diouma Diakhaté, candidate battue au premier tour le 26 février, «Wade pouvait attendre ou même contester les premières tendances, afin d'attiser la tension pour brûler le pays parce que les gens s'attendaient à ce cas de figure».

Elle salue en conséquence «la grandeur» de M. Wade qui a «pris de court tout le monde».

Ce coup de fil du vaincu au vainqueur conforte l'image du Sénégal comme modèle démocratique en Afrique, un continent plus habitué aux transitions dynastiques, aux fraudes électorales et aux coups d'État, comme en témoigne celui qui a renversé le 22 mars le président malien Amadou Toumani Touré.

Mais, relativise l'écrivain Mody Niang, Wade «n'avait pas d'autre choix que de l'appeler, tellement la victoire est écrasante», alors des chiffres non officiels donnent Macky Sall gagnant avec au moins 60% des voix.

«Il a raté le coche»

«C'est bien que Wade ait félicité Macky Sall. Ça le grandit et ça grandit la démocratie sénégalaise, mais en réalité, il sort par la petite porte. La majorité du peuple a dit qu'il ne lui fait plus confiance», estime Alioune Tine, coordonnateur du Mouvement du 23 juin (M23).  «C'est la première fois qu'un président sort avec un tel score», note-t-il.

Le M23, coalition de l'opposition et de la société civile, est à l'origine des manifestations contre la nouvelle candidature de Wade à la présidentielle, jugée anti-constitutionelle après deux mandats: durement réprimées par les forces de l'ordre, elle ont fait de six à quinze morts, au moins 150 blessés.

M. Wade avait été élu une première fois en 2000 pour sept ans et réélu en 2007 pour cinq ans après une modification constitutionnelle. Après avoir déclaré en 2007 ne pouvoir se présenter, car il avait «bloqué le nombre de mandats à deux», il s'était dédit en annonçant sa candidature dès septembre 2009.

Le mouvement «Y en marre», formé de jeunes rappeurs et en pointe contre la candidature de Wade, avait composé une chanson intitulée «Faux! Pas forcé», un jeu de mots pour appeler M. Wade à éviter de «forcer» pour être candidat, «un faux pas» qui ferait trébucher le Sénégal.

Les États-Unis avaient appelé Wade à renoncer à un troisième mandat, synonyme de «danger pour la paix et la stabilité» au Sénégal et la France, ex-puissance coloniale et principal partenaire économique du pays, s'était prononcée pour «un passage des générations».

«On pouvait bien se passer de ces morts si Wade avait fait montre de sagesse et savoir qu'à 85 ans (officiellement), il n'est pas raisonnable de solliciter un mandat de sept ans», fait remarquer Mody Niang qui ajoute: «il a raté le coche, sortir par la grande porte n'est plus possible».