Chaque semaine, une dizaine de lesbiennes seraient violées dans les townships anonymes qui parsèment l'Afrique du Sud.

Le chiffre, avancé par des militants des droits des gais et lesbiennes, n'est qu'une estimation, car la lutte contre ce genre de crime, pour le système judiciaire sud-africain, n'est pas une priorité.

Tout tient dans cette croyance solidement ancrée dans le pays: les lesbiennes peuvent, pour plusieurs, être corrigées de leur homosexualité en ayant une relation sexuelle avec un homme. De gré ou de force.

«Celles qui ressemblent trop à des hommes sont violées et battues parce qu'on craint qu'elles volent les femmes aux hommes; celles qui sont plus féminines sont violées dans l'espoir de les guérir de leur homosexualité», explique Retha Benadé, pasteure et militante pour les droits des gais rencontrée sur les marches du parlement provincial du Cap, lors d'une manifestation contre le système judiciaire.

En Afrique du Sud, une femme noire a statistiquement plus de risques d'être violée qu'elle n'a de chances de terminer son cours secondaire. Il aura fallu que la joueuse étoile et capitaine de l'équipe nationale de football d'Afrique du Sud, Eudy Simelane, soit sauvagement violée et assassinée, au printemps 2008, pour que l'opinion publique réalise l'ampleur du problème du «viol correctif».

Depuis 2008, rappelle Zackie Achmat, l'un des artisans de la reconnaissance constitutionnelle des droits des gais et lesbiennes, le système de justice n'a été en mesure, sur les 31 meurtres de lesbiennes recensés officiellement, de prononcer des condamnations que dans 3 affaires.

«L'échec du système de justice est non seulement un crime contre les lesbiennes, mais aussi, et surtout, un crime contre tous les Sud-Africains», déplore M. Achmat.

Des manifestations, une pétition signée par des centaines de milliers de personnes dans 163 pays et l'assassinat, en avril dernier, de Noxolo Nogwaza, militante des droits homosexuels de 24 ans, ont convaincu le gouvernement sud-africain de mettre sur pied un groupe de travail sur la question.

Une des premières tâches auxquelles s'attaquera le groupe sera de faire reconnaître au viol correctif un statut particulier de crime haineux.

Lorsqu'on l'a retrouvé dans le township de Kwa Thema, près de Johannesburg, le corps de Noxolo Nogwaza était littéralement ravagé. Yeux arrachés, dents fracassées, une bouteille de bière et des condoms usagés enfoncés dans le vagin. Partout, des lacérations causées par des tessons de bouteilles. La brique ensanglantée qui a servi à fendre le crâne de la jeune femme traînait à côté du corps.

Zoliswa Nkonyana, 19 ans, a été lapidée et battue à mort par une vingtaine d'hommes. Eudy Simelane, violée et poignardée à plus de 25 reprises.

En marge du rêve

Premier pays africain et cinquième du monde, tout juste après le Canada, à avoir reconnu, en 2006, le droit au mariage aux conjoints de même sexe, l'Afrique du Sud, héritière d'un passé entaché des pires injustices, s'est évertuée avec sa première constitution post-apartheid à poser les jalons d'un État clairement soucieux des droits de tout le monde.

Pendant que certains travaillent d'arrache-pied sur le front politique et juridique pour faire en sorte que les mots de la Constitution se transforment en actes sur le terrain, au coeur des townships, des lesbiennes prennent le taureau par les cornes et s'organisent.

Lorsqu'on franchit la lourde porte d'acier de la résidence protégée par de hauts murs et des barbelés qui sert de refuge pour lesbiennes dans un des townships de Cape Flats, en banlieue du Cap, on prend tout de suite conscience du gouffre entre la politique et la réalité sur le terrain.

Dans ce refuge se trouvent des femmes comme Bulelwa Panda, directrice de l'établissement, et Nono, victime il y a quelques années d'un viol «correctif» et aujourd'hui rejetée par sa famille.

«Nous devons lutter pour nos droits», affirme Mme Panda, qui croit que «si rien n'est facile quand on est gai», le dialogue finira bien par «ouvrir les coeurs, puis l'esprit et, enfin, les portes».

«Dieu dit qu'on doit se tenir debout et croire en soi-même et je crois en Dieu», dit Nono, une femme de 29 ans qui raconte tout doucement comment son cousin l'a violée à trois reprises, comment elle en est tombée enceinte et comment elle s'est retrouvée rejetée par sa famille.

Comme elle parle encore tout doucement en promettant: «Un jour, je vais m'asseoir avec ma fille et lui dire qui je suis réellement et ce qui s'est passé.»