«Une brise est un vent léger qui secoue les feuilles des arbres, mais elle ne devient jamais un ouragan.» C'est ce que le président sénégalais Abdoulaye Wade, défiant, a déclaré hier. Il faisait référence au mouvement de contestation contre sa candidature aux prochaines élections. Mais ses opposants - dont les membres du collectif de jeunes rappeurs Y'en a marre - ont bel et bien l'intention de provoquer une tempête, explique notre collaborateur.

Au beau milieu d'un boulevard de Dakar, les voitures sont détournées de leur trajectoire. Quelques dizaines de jeunes hommes en t-shirt se placent en rangs de façon presque militaire. Après avoir scandé quelques slogans, ils se préparent à se joindre à la manifestation prévue à quelques pâtés de maisons de là, place de l'Obélisque.

Ces jeunes forment le noyau dur du collectif Y'en a marre, un mouvement citoyen mis sur pied par de jeunes rappeurs et journalistes sénégalais. Ils jouent actuellement un rôle-clé dans le mouvement qui s'oppose à la candidature du président sortant Abdoulaye Wade aux prochaines élections.

«On va se battre jusqu'au bout» affirme Djily Bagdad, rappeur et membre de Y'en a marre. «Comme Wade s'entête à être candidat, on ne va pas arrêter jusqu'à ce qu'on obtienne ce qu'on veut».

Vendredi dernier, le conseil constitutionnel a dévoilé la liste des candidats à la présidentielle du 26 février. Wade, âgé de 85 ans, a été autorisé à briguer un troisième mandat, alors que la candidature du chanteur vedette Youssou N'Dour a été rejetée.

Rompre avec le fatalisme

La décision a mis le feu aux poudres. Mais la grogne ne date pas d'hier. Y'en a marre a été créé il y a un an afin de dénoncer l'injustice sociale, la flambée des prix et les scandales financiers qui sévissent dans le pays.

Les instigateurs du mouvement affirment qu'ils voulaient rompre avec le fatalisme qui règne au sein de la population face à tous ces problèmes. Qu'ils en avaient surtout marre de rester les bras croisés.

En plus d'avoir rallié des milliers de jeunes des quatre coins du pays à leur cause, les «Y'en a marristes» ont entre autres organisé de vastes collectes de déchets et ont convaincu plus de 350 000 jeunes à s'inscrire sur les listes électorales.

D'après Gaëlle Le Roy, une cinéaste française qui tourne un documentaire sur Y'en a Marre, ce qui fait la force du collectif, c'est que celui-ci ne fasse pas de politique, qu'il ne soutienne pas de candidat en particulier.

Les membres sont cependant tous d'accord pour chasser du pouvoir le président Wade, élu en 2000. Ils lui reprochent d'être responsable de la corruption et du chômage, deux phénomènes devenus endémiques au Sénégal.

S'inspirer de la rue arabe

Y'en a marre a toutefois ses détracteurs. Certains parents d'élèves ont affirmé que le collectif recrutait leurs enfants directement dans les écoles et qu'ils étaient ensuite envoyés aux premières lignes des manifestations.

Manifestations qui, depuis le 27 janvier, dégénèrent. Les affrontements entre manifestants et forces de l'ordre ont ainsi causé la mort de six personnes.

D'un côté, une opposition bien décidée à empêcher Wade de se présenter, tout en appelant à la retenue. De l'autre, un pouvoir qui se crispe et réprime la foule de façon de plus en plus musclée.

Face à cette impasse, il est difficile de prédire le rôle que jouera le mouvement Y'en a marre dans ce pays souvent cité en exemple pour sa stabilité et son alternance pacifique. Pour l'instant, les leaders du collectif s'inspirent des révolutions arabes en organisant des marches non violentes. Reste à voir si la population suivra les jeunes dans leur détermination.

Photo: Joe Penney, Reuters

Le président sénégalais Abdoulaye Wade.