La police sénégalaise a dispersé mardi soir à Dakar un rassemblement de milliers d'opposants venus contester la candidature du chef de l'Etat Abdoulaye Wade à la présidentielle de février, après des violences qui avaient fait trois morts en trois jours.

À l'appel de l'opposition et de la société civile, regroupées au sein du Mouvement du 23 juin (M23), des milliers de personnes se regroupées dans l'après-midi sur la place de l'Obélisque, l'une des principales esplanades au coeur de la capitale.

Malgré quelques adolescents un peu échauffés, la manifestation s'est déroulée sans aucun incident jusque vers 18H30, sous la surveillance d'un cordon d'environ 150 policiers anti-émeute.

Au moins cinq candidats d'opposition à la prochaine présidentielle étaient présents, ainsi qu'Alioune Tine, figure de la société civile et coordonnateur du M23, libéré lundi soir après deux jours de détention dans les locaux de la police.

Avec la tombée du jour, des jeunes ont cependant voulu en découdre, précipitant l'intervention des forces de l'ordre qui ont jeté des grenades lacrymogènes. Les manifestants ont alors rapidement évacué l'esplanade.

Parmi les derniers à quitter les lieux figurait le candidat Moustapha Niasse, ex-Premier ministre de M. Wade devenu opposant, qui a dû se réfugier dans une maison pour échapper au gaz lacrymogène.

Une femme a été blessée à la jambe, a-t-on constaté.

Des véhicules pick-up chargés de policiers se sont ensuite engagés dans les rues adjacentes des quartiers populaires de Medina et Coloboane pour disperser les derniers petits groupes de protestataires, dont certains tentaient d'ériger des barricades de fortune avec des pneus incendiés.

Vers 19h30, les policiers étaient déployés sur la place désertée et les avenues jonchées de cailloux, tandis que la circulation automobile reprenait progressivement. La situation était normale ailleurs dans la capitale.

Le gouvernement a finalement laissé se tenir ce rassemblement, bien que, selon lui, les organisateurs ne l'ont pas annoncé 72 heures auparavant comme l'exige la loi.

Le M23 avait appelé à cette manifestation pour exiger le retrait de la candidature d'Abdoulaye Wade, 85 ans dont 12 au pouvoir, candidature dont la validité a été confirmée dimanche par le Conseil constitutionnel.

Les manifestants portaient diverses pancartes sur lesquelles on pouvait lire: «La constitution n'est pas un brouillon», ou encore «Wade dégage».

Bloquer le pays

Ce rassemblement s'est tenu après des violences qui ont éclaté le 27 janvier à Dakar et dans d'autres villes à l'annonce de la validation de la candidature Wade. Un policier avait été tué, plusieurs personnes blessées, des bâtiments incendiés. Lundi, deux personnes ont été tuées lors d'une marche d'opposants à Podor (nord).

Pour le M23 la candidature de Wade est un «coup d'Etat constitutionnel», arguant qu'il a épuisé ses deux mandats légaux (élection en 2000, réélection en 2007), ce que récusent ses partisans selon qui il est en droit de se représenter après des modifications de la Constitution.

La formule a également été utilisée mardi par le célèbre chanteur Youssou Ndour dont la candidature a été rejetée par le Conseil constitutionnel: il a appelé «à manifester dans la paix» contre ce «coup d'État» et réclamé la démission des cinq membres du Conseil. «Il y aura des initiatives qui vont bloquer le pays», a-t-il promis, sans préciser lesquelles.

M. Niasse a de son côté exclu un boycott de la présidentielle par l'opposition, qui «ferait trop plaisir à Wade et à son système».

Les violences du 27 janvier à Dakar ont été suivies par des dizaines d'arrestations, selon le M23, parmi lesquelles celle d'Alioune Tine, coordonnateur du mouvement et figure respectée au Sénégal ainsi qu'en Afrique de l'Ouest pour son action en faveur de la défense des droits de l'homme.

La candidature du chef de l'État n'est pas seulement contestée par ses opposants: les États-Unis l'ont invité à «laisser la place à la prochaine génération».

L'Union européenne a «condamné dans les termes les plus forts tous les actes de violence» et appelé «toutes les parties à faire preuve de retenue et à opter pour le dialogue, dans l'intérêt de la tenue d'élections pacifiques, libres et équitables».