Le Nigeria entre dans une grave période d'incertitude avec une multiplication des attaques contre les chrétiens dans le nord du pays, sur fond de grogne sociale et de menace d'une grève générale lundi pour protester contre la hausse du prix de l'essence.

L'assassinat de dizaines de chrétiens ces derniers jours, revendiqué par le groupe islamique Boko Haram, a ravivé les craintes d'un élargissement du conflit religieux et exacerbé la colère des dirigeants chrétiens qui y voient un parallèle avec les violences ayant conduit à la guerre civile des années 1960.

Entre-temps, une décision controversée de supprimer les aides à la distribution de l'énergie qui va doubler le prix de l'essence a cristallisé le mécontentement social, avec des manifestations spontanées un peu partout dans le pays.

Ces protestations se sont encore accrues après que la police ait fait usage de gaz lacrymogène et ait été accusée d'utiliser une force excessive pour disperser les manifestants. Selon un syndicat, une personne a été tuée par la police, ce que les autorités ont démenti.

Annoncée par surprise le 1er janvier, la suppression des subventions sur les carburants a eu pour conséquence immédiate une hausse en flèche des prix à la pompe, le litre d'essence passant de 65 nairas (0,30 euro) à au moins 140 naira (0,66 euro).

La mesure est très impopulaire au Nigeria, premier producteur de pétrole d'Afrique et pays le plus peuplé du continent avec 160 millions d'habitants dont la majorité vit avec moins de deux dollars par jour.

Cette nouvelle politique de suppression des subventions est présentée par les économistes et les responsables gouvernementaux comme une évolution vitale qui permettrait au pays de se doter enfin d'infrastructures et de réduire la pression sur ses réserves.

Selon le gouvernement, les subventions en 2011 ont coûté 8 milliards de dollars. Mais les Nigérians y voyaient le seul bénéfice de leur production pétrolière, dans un pays gangrené par la corruption.

Les syndicats ont appelé à une grève générale à partir de ce lundi, exigeant du gouvernement qu'il revienne sur ces mesures d'économie qui alimentent la grogne sociale et font planer le spectre de nouveaux affrontements.

La situation dans le pays est «plutôt précaire et inquiétante», estime Onah Ekhomu, expert indépendant sur la sécurité basé à Lagos. «Nous avons une crise sectaire croissante et maintenant on arrête les subventions. Presque tout le pays est en ébullition», juge M. Ekhomu.

L'augmentation des attaques contre des chrétiens ces dernières semaines dans les régions du nord majoritairement musulman a amené le président Goodluck Jonathan à imposer le 31 décembre l'état d'urgence dans les régions concernées.

Les responsables chrétiens ont averti qu'ils répliqueraient désormais à ces attaques, ce qui augmente les inquiétudes dans un pays divisé entre les musulmans du sud et les chrétiens du nord.

«Je pense que ce qui arrive n'est pas seulement un problème de subventions, mais aussi un problème général sur la façon dont le pays est dirigé» affirme Clement Nkankwo, responsable du Centre de conseil juridique et politique, une ONG locale.

«Nombreux sont les mécontents de la façon dont le pays est dirigé. Ils pensent qu'il y a beaucoup d'incapables, d'incompétents ainsi qu'une grosse corruption» ajoute-t-il.

Selon Elisabeth Donelly, du groupe de réflexion Chatam House, basé à Londres, le Nigeria est en train de vivre «la souffrance d'une évolution politique».

Ce qui se passe, explique-t-elle, est «une combinaison de facteurs: l'héritage d'une gouvernance en diminution depuis des dizaines d'années, une corruption croissante et un manque d'investissement dans les infrastructures de base comme la santé et l'éducation».

«C'est une démocratie en évolution, c'est un pays immense et divers, il cherche encore à construire un modèle de démocratie qui corresponde et fonctionne au Nigeria», conclut Mme Donnelly.