Plus de trois mille personnes ont été tuées dans des violences interethniques commises la semaine dernière dans l'État de Jonglei, au Soudan du Sud, a affirmé vendredi à l'AFP le chef de l'administration locale où ces tueries ont eu lieu.

«Nous avons compté les corps, et nous avons calculé à ce stade que 2182 femmes et enfants, ainsi que 959 hommes, ont été tués», a déclaré au téléphone Joshua Konyi, chef de l'administration de la région de Pibor.

Ce bilan n'a pas été confirmé par une autre source, alors que les Nations unies ont estimé à ce jour que des dizaines et «peut-être» des centaines de personnes avaient été tuées.

Quelque 6000 jeunes hommes armés de la tribu des Lou Nuer ont marché la semaine dernière sur la localité de Pibor et ses environs, peuplés par la tribu des Murle, qu'ils accusent d'avoir dérobé leur bétail. Ils ne se sont retirés que lorsque l'armée du Soudan du Sud a ouvert le feu. Des affrontements et des vendettas opposent depuis des années les deux tribus pour des questions de propriété de bétail.

«Il y a eu des meurtres en série, un massacre», a rapporté M. Konyi, lui-même un Murle, ajoutant que plus d'un millier d'enfants étaient portés disparus et avaient sans doute été enlevés. Des dizaines de milliers de têtes de bétail ont aussi été volées, selon lui.

«Il y a bien eu des victimes, mais nous ne disposons pas de précisions et nous ne pouvons pas à ce stade confirmer les affirmations du chef de l'administration locale», a commenté pour sa part le ministre de l'Information de l'État de Jonglei, Isaac Ajiba, interrogé par l'AFP.

Le porte-parole de l'armée du Soudan du Sud, Philip Aguer, a également indiqué attendre les rapports de ses soldats sur place pour annoncer un bilan.

«Des parties de (Pibor) ont été brûlées, nos installations ont été complètement pillées», a déjà témoigné le chef de mission de Médecins sans frontières dans le pays, Parthesarathy Rajendran, qui s'est rendu sur place. Mais «les gens reviennent et n'ont plus peur, la situation s'est stabilisée», a-t-il ajouté, soulignant qu'il y avait «d'énormes besoins».

La coordinatrice de l'action humanitaire de l'ONU dans le pays, Lise Grande, avait estimé mardi que des dizaines et «peut-être» des centaines de personnes avaient été tuées lors de la vendetta menée par les jeunes Lou Nuer.

Les Casques bleus et le personnel de la mission de l'ONU au Soudan du Sud (MINUS) ont de leur côté «vu plusieurs douzaines de corps» dans la seule ville de Pibor, a indiqué jeudi le chef des opérations de maintien de la paix, Hervé Ladsous.

Pour venir en aide aux quelque «50 000 personnes» affectées par les violences, l'ONU a annoncé vendredi qu'elle lançait une «opération massive d'urgence humanitaire». L'organisation a démarré jeudi les distributions de nourriture -des rations d'un mois- pour 2000 déplacés internes, dont 90% de femmes, à Boma.

«Un de nos staffs nous a rapporté qu'il a vu des familles manger de l'herbe», a relevé la porte-parole du Programme alimentaire mondial (PAM), Gaëlle Sévenier, faisant valoir que le Soudan du Sud était un pays très fertile, mais très peu cultivé (4%) en raison notamment de l'insécurité.

Le PAM craint également la prochaine arrivée des pluies. «La moitié du pays va être isolée en mars-avril», a expliqué Mme Sévenier.

Les conflits interethniques constituent l'un des principaux défis auxquels le nouveau pays doit faire face. Ils ont été exacerbés par deux décennies de guerre civile entre le nord et le sud du Soudan, qui ont nourri les inimitiés historiques entre les différentes tribus, parfois instrumentalisées par Khartoum.

La guerre n'est pas finie

Dans le seul État de Jonglei, les attaques de campements visant à voler des bêtes et les opérations de représailles y ont fait en 2011 plus de 1100 morts et forcé quelque 63 000 personnes à quitter leur village, selon un rapport de l'ONU. En août, au moins 600 personnes ont été tuées et 985 blessés lors d'une attaque de Murle contre des villages Lou Nuer.

«La guerre n'est pas finie», a prévenu jeudi dans un communiqué un groupe se faisant appeler l'Armée blanche Nuer. «Nous prévoyons que les Murle vont attaquer les Nuer et les Dinka (une autre tribu de la région, NDLR) pour se venger de l'offensive que nous avons lancée», avertit le texte. «S'ils le font, nous mènerons des attaques surprises qui mèneront à de nouveaux bains de sang et mouvements de population», a menacé ce groupe.

Le gouvernement a d'ores et déjà qualifié l'État de Jonglei de «région sinistrée» et appelé les deux tribus à «ramener toutes les femmes et enfants enlevés des deux côtés».

Les violences entre tribus au sein du Soudan du Sud s'ajoutent aux tensions frontalières persistantes entre ce nouvel État, qui a accédé à l'indépendance en juillet dernier, et le Soudan dont il dépendait jusqu'alors, notamment au sujetd es réservesd e pétroles qui se trouvent au sud.