Une série d'arrestations et d'inculpations pour terrorisme visant opposants et journalistes en Éthiopie témoignent, selon des analystes, du durcissement du régime et d'un net recul de la démocratie dans ce pays de la Corne de l'Afrique.

«Le seul nombre d'arrestations et de poursuites engagées cette année montrent une oppression systématique, un démantèlement méthodique des rares voix indépendantes» du régime de Meles Zenawi, résume Claire Beston, responsable de l'Éthiopie à Amnistie Internationale.

«Le processus démocratique relève de la parodie, au regard des événements de cette année», ajoute-t-elle.

En novembre, 24 personnes ont été inculpées sous le coup d'une loi contre le terrorisme controversée et trois journalistes ont fui le pays, faisant état de crainte de poursuites ou d'emprisonnement.

Des médias locaux ont même rapporté le cas d'un homme qui a appelé ses compatriotes à se battre pour la liberté, avant de s'immoler par le feu.

Selon plusieurs organisations de défense des droits de l'homme, plus de 150 activistes et journalistes ont été incarcérés depuis janvier, une vague répressive sans équivalent depuis celle de 2005, à la suite d'élections générales marquées par une poussée de l'opposition.

«Nous avons atteint un point décisif, que nous avions malheureusement connu lors de la crise postélectorale de 2005», selon Tom Rhodes, du Comité pour la protection des journalistes (CPJ), basé à Washington.

«J'ai le sentiment qu'actuellement nous sommes de retour aux jours sombres de 2005», dit-il.

Professeur de sciences politiques à Addis Abeba, Merera Gudina impute quant à lui une grogne populaire croissante à la situation économique du pays où les prix des denrées alimentaires ont augmenté de 63% en un an, selon la Banque mondiale.

«Le coût de la vie augmente de façon dramatique et de nombreux Éthiopiens ont faim. Il faut s'attendre à une hostilité de la population», selon ce professeur d'université.

Le porte-parole du gouvernement de M. Zenawi, Bereket Simon insiste pour sa part sur les efforts du parti au pouvoir, qui «fait de son mieux» pour réduire les inégalités sociales et économiques.

«Le gouvernement va dans la bonne direction. Il y a bien des problèmes çà et là, mais nous les réglons au fur et à mesure», assure-t-il.

L'Éthiopie a connu ces dernières années un taux de croissance parmi les plus robustes du continent et enregistré des progrès très sensibles en matière de lutte contre la mortalité infantile et la malnutrition.

Mais selon plusieurs observateurs, ces améliorations ne sont pas de nature à endiguer le mécontentement populaire.

Pour Mme Beston, les récentes arrestations visent pour les autorités à étouffer dans l'oeuf toute velléité de Printemps arabe dans le pays.

«Le gouvernement a montré qu'il avait peur que ces manifestations et un soulèvement à grande échelle se déroulent en Éthiopie et il a pris des mesures préventives», estime Mme Beston.

Mais pour Ben Lawrence, de l'organisation Human Rights Watch, l'espace politique est beaucoup trop restreint pour laisser cours à des manifestations de masse.

«La question n'est pas de savoir si les Éthiopiens sont susceptibles de suivre le Printemps arabe. Ils ont eu un printemps (en 2005) et il n'a pas débouché sur un été, au contraire, on est revenu à l'hiver», juge M. Lawrence.

«Ces arrestations ont été menées parce que le gouvernement disposait de preuves spécifiques pour incriminer les suspects», justifie de son côté M. Bereket.

Le responsable de HRW critique enfin le silence de la communauté internationale sur la situation des droits de l'homme en Éthiopie, pourtant l'un des premiers destinataires de l'aide internationale sur le continent et un allié stratégique des États-Unis dans la région.

«C'est toujours la même histoire, (les bailleurs) croient qu'une diplomatie discrète est le meilleur moyen de maintenir leur accès et leur influence, ils ne veulent pas mettre en danger leur relation avec le gouvernement», déplore-t-il.