Les diplomates canadiens Robert Fowler et Louis Guay roulaient en direction de Niamey, capitale du Niger, quand un pick-up leur a brutalement barré la route. C'était le 14 décembre 2008. La première des 130 interminables journées qu'ils passeront en tant qu'otages d'Al-Qaïda. Dans A Season in Hell, Robert Fowler revient sur cette expérience terrifiante, éprouvante, mais aussi fascinante. Car peu d'experts peuvent se targuer d'avoir côtoyé pendant près de cinq mois le réseau terroriste le plus dangereux de la planète.

Quatre-vingt-deux jours après avoir été kidnappés par Al-Qaïda, les diplomates canadiens Robert Fowler et Louis Guay ont reçu un cadeau inespéré: des colis envoyés par le président du Burkina Faso, Blaise Compaoré.

Jus de mangue, sardines, chocolats: après plus de deux mois de disette, c'était une bénédiction pour les deux otages qui ont été enlevés un dimanche de décembre, à 35 kilomètres de Niamey, capitale du Niger.

Tandis que les otages faisaient l'inventaire de leur trésor, l'un des ravisseurs leur a fait un aveu. Sur la route, deux boîtes de biscuits avaient été endommagées. Incapables de résister, quelques jeunes membres de son groupe, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), ont mangé les miettes des biscuits écrasés. «Ils ont mal agi et ils seront punis», a promis le geôlier, l'air honteux.

Robert Fowler n'en revenait pas. Ces guerriers du désert engagés dans une guerre sanglante, qui n'auraient pas hésité une seconde à lui trancher la gorge, étaient donc dévorés par la culpabilité à cause d'un vol de biscuits?

«C'est à ce moment que j'ai vraiment mesuré la profondeur de leur engagement envers le djihad et l'ampleur du fossé culturel entre nous», écrit l'ex-otage dans A Season in Hell, récit de ses 130 jours de détention dans le Sahel.

»Dans mes scénarios, ça finissait toujours mal.»

Pendant ces journées interminables, les deux hommes et leur chauffeur nigérien ont été trimballés de camp en camp, ils ont dormi sous les étoiles, ils ont souffert de la faim, de la chaleur extrême et du froid qui s'abat sur le désert quand la nuit tombe.

Mais le pire, c'était la peur. Robert Fowler revoyait mentalement les images du journaliste Daniel Pearl, décapité au Pakistan. En entrevue téléphonique, il résume ainsi son état d'esprit pendant sa détention: «Chaque seconde, j'ai eu peur de mourir.»

Et pas seulement par décapitation. Robert Fowler a longuement réfléchi avant de se résoudre à évoquer publiquement la défaillance physiologique qui l'a le plus tourmenté pendant sa détention: la constipation. C'est qu'une rupture intestinale à des centaines de kilomètres de la moindre clinique, c'est la mort assurée. Ce qui l'a sauvé: une poire à lavement de fabrication artisanale, immortalisée sur une photo de son livre.

Les deux otages ont déployé tout autant d'ingéniosité pour préserver leur santé mentale. Marcher sur un sentier tracé dans le sable. Marquer chaque jour passé dans le désert d'une ligne gravée dans une ceinture de cuir.

Dans leurs interminables conversations, Robert Fowler et Louis Guay ont imaginé mille dénouements à leur mésaventure. «Et dans mes scénarios, ça finissait toujours mal.»

Les deux Canadiens ont été traités correctement par leurs ravisseurs. Robert Fowler mieux que Louis Guay, que les gardiens ont accusé de tous les maux, y compris le pire, à leurs yeux: celui d'être juif.

Pourquoi ce traitement spécial? Robert Fowler est convaincu qu'AQMI annonçait ainsi ses couleurs: le cas échéant, ce prisonnier aurait été le premier à se faire exécuter. Selon leur étrange code d'éthique, les djihadistes avertissent leurs victimes avant de les tuer.

L'observation

Pendant ses 130 jours de détention, Robert Fowler a eu le temps d'observer ses ravisseurs. Il note dans son livre, avec une pointe d'humour, qu'au-delà de la souffrance physique et mentale, son séjour auprès d'Al-Qaïda a été l'occasion d'une formation intensive unique en son genre. Sa vision d'Al-Qaïda en a été transformée.

Contrairement à ce que plusieurs imaginent, ses ravisseurs n'étaient pas de simples bandits utilisant la religion comme prétexte pour justifier leurs attaques. Mais plutôt des fanatiques religieux qui se livrent au banditisme pour parvenir à leurs fins: étendre le chaos de la Somalie à la Mauritanie pour y mener leur djihad.

Les combattants d'Al-Qaïda sont «beaucoup plus organisés et inflexibles» que ce que Robert Fowler croyait avant son enlèvement. Indifférents aux plaisirs de la vie, ils sont incorruptibles - et d'autant plus difficiles à combattre.

Robert Fowler croit maintenant que la popularité d'Al-Qaïda n'a rien à voir avec le sous-développement. «On a tendance à imaginer que si tous ces gens pouvaient être dentistes, ils laisseraient tomber le djihad, mais ce n'est pas vrai.»

Comment les combattre, alors? En bloquant l'afflux d'argent qui leur parvient de l'Arabie Saoudite. Et en aidant militairement les pays où ils sévissent. C'est urgent, croit cet amoureux de l'Afrique qui voit avec appréhension la filiale maghrébine d'Al-Qaïda prendre de l'expansion sur ce continent.

«Maintenant, quand je vois un imam assis sous un arbre en train de prêcher à des enfants, ça me fait peur. Car ce sont les recrues de demain.»