Le roi du Maroc a fait un pas vers un rééquilibrage des pouvoirs en musclant le rôle du Premier ministre, mais ne renonce en rien à ses prérogatives avec un projet de réforme constitutionnelle qui enterre l'idée d'une monarchie parlementaire, estiment des spécialistes.

Dans un discours à la nation très attendu après les changements annoncés en mars dans la foulée des premières révoltes arabes, Mohammed VI a proposé vendredi un texte qui vise à «consolider les piliers d'une monarchie constitutionnelle, démocratique, parlementaire et sociale».

Pour Khadija Mohsen-Finan, chercheuse spécialiste du Maghreb à l'université de Paris 8, «on va vers un équilibre plus grand des pouvoirs».

«Ce n'est plus le roi qui nomme d'autorité le Premier ministre, qui sera désigné au sein du parti arrivé en tête aux élections. Le Premier ministre peut dissoudre le Parlement, mais est également responsable devant lui», souligne-t-elle.

Toutefois, précise-t-elle aussitôt, «le roi garde toutes ses prérogatives. Il est garant de tout ce nouvel équilibre. C'est en cela qu'on n'est pas dans une monarchie parlementaire».

Un avis que partage Mohamed Madani, professeur de sciences politiques à l'université de Rabat, qui estime que le changement principal réside dans la forme du texte, passé de «108 à 180 articles», d'une «constitution-loi» à une «constitution-programme» qui demeure «royale».

«En matière de répartition et d'architecture du pouvoir, cela reste quand même une constitution loin d'être démocratique», dit-il, relevant que le terme de monarchie «parlementaire», mis en avant par le monarque, est «noyé» parmi d'autres qualificatifs mais en rien étayé par le texte.

Pour l'historien Pierre Vermeren, auteur du Maroc de Mohammed VI: La transition inachevée, le projet comporte certes certaines avancées, mais «le roi écrase toujours la scène politique de sa puissance».

Des mesures comme la reconnaissance du berbère comme langue officielle ont «une très forte portée symbolique» mais «ne changent pas grand chose en pratique», et la modification de l'article 19 sur le pouvoir religieux du roi, conspué par les contestataires marocains au cri de «Article 19, dégage!», relève de la «ruse».

«On supprime le symbole de cet article, mais on conserve l'essentiel: le titre de commandeur des croyants qui fait du roi la seule autorité religieuse du pays», qui demeure «inviolable» et auquel on doit le «respect».

«La seule chose qui pourrait mettre à distance la sacralité du roi, c'est une vrai autonomie du pouvoir judiciaire», estime l'historien, or, c'est toujours le roi qui nomme les magistrats.

«À l'aune des attentes suscitées par les révolutions arabes, les avancées sont très faibles», juge également Khadija Mohsen-Finan.

Mais, rappelle-t-elle, «au Maroc, l'attente est celle d'un changement, pas d'un rejet de la monarchie. On reproche au roi une partie de son entourage. Il y a un problème de corruption, mais pas un problème de gouvernance générale comme en Tunisie ou en Égypte».

Les historiens expliquent aussi la faiblesse de la réforme par un changement du contexte dans le monde arabe depuis le discours du 9 mars.

«Il n'y a plus d'urgence pour le roi. Kadhafi est toujours là, la guerre s'installe en Syrie et au Yémen. Après l'attentat de Marrakech (fin avril), le roi se pose en garant de la stabilité contre le chaos qui guette certains pays arabes», explique Pierre Vermeren.

Mais, pour l'historien, le monarque «aurait pu aller plus loin», en tenant un discours sur la société, sur les attentes immédiates de la jeunesse. Enfin, l'annonce d'un référendum sur le texte le 1er juillet «signifie qu'il n'y aura pratiquement pas de campagne», ce qui n'est «pas un signe encourageant».

Le mouvement contestataire a d'ores et déjà appelé à manifester dimanche, dénonçant un projet qui ne répond en rien à ses attentes.