«Colosse» du combat anti-apartheid, «trésor» national, «sage-femme» de la démocratie: l'Afrique du Sud rendait vendredi un hommage ému à Albertina Sisulu, camarade de lutte et amie proche de Nelson Mandela, décédée à l'âge de 92 ans.

Proches, personnalités politiques et simples citoyens ont défilé toute la journée au domicile de Johannesburg, où «Mama Sisulu» s'est éteinte jeudi soir en regardant les informations télévisées avec deux de ses petits-enfants.

Le président Jacob Zuma a regretté le départ d'«un des derniers colosses» de la lutte contre le régime ségrégationniste, rappelant qu'elle avait «élevé, conseillé, materné et éduqué la plupart des leaders» du mouvement de libération.

Cette femme modeste mais déterminée, infirmière de profession, était entrée en politique après avoir épousé en 1944 Walter Sisulu, un grand complice de Nelson Mandela, né comme elle en 1918, qui fut témoin au mariage.

Dans les années 40, Nelson Mandela et Walter Sisulu avaient transformé, avec Oliver Tambo, le Congrès national africain (ANC) en organisation de masse, avant de le doter d'un bras armé pour défier l'apartheid.

De son côté, Albertina Sisulu avait rejoint en 1948 la ligue des femmes de l'ANC.

Quand son mari fut condamné à perpétuité et expédié sur l'île-bagne de Robben Island avec Nelson Mandela, en 1964, elle «a rempli le vide laissé par l'emprisonnement et l'exil forcé des leaders» de la lutte, a rappelé l'ANC, au pouvoir depuis les premières élections multiraciales de 1994.

De tous les combats, elle fut arrêtée à plusieurs reprises, assignée à résidence, bannie hors de Johannesburg. «Malgré tous leurs efforts», les responsables de l'apartheid «ne l'ont pas rendue amère», a souligné le Nobel de la Paix Desmond Tutu, louant «sa grâce et son humanité».

Contrairement à Winnie Mandela, également victime des autorités racistes, Albertina Sisulu n'a jamais versé dans la violence. Aux discours enflammés, elle préférait la pédagogie. «Pendant un combat, si les gens ne savent pas pourquoi ils se battent, ça ne sert à rien», avait-elle expliqué.

Logiquement, elle a entraîné certains de ses cinq enfants dans la politique. Son fils Max est aujourd'hui président du Parlement et sa fille Lindiwe ministre de la Défense.

Lors du scrutin de 1994, qui a porté Nelson Mandela à la présidence, le couple Sisulu était lui-même entré au Parlement. Albertina avait pris sa retraite quatre ans plus tard. En 2003, son époux décédait.

Malgré ce parcours, «Mama Sisulu est restée l'humilité personnifiée. Elle a résisté à la tentation de devenir une célébrité en politique», a rappelé le quotidien The Star dans un hommage à «la sage-femme de l'Afrique du Sud libérée».

À Paris, le ministère des Affaires étrangères a salué une «militante infatigable de la démocratie», «incarnation du courage et de la compassion».

Nelson Mandela, à qui elle avait rendu visite lors de son hospitalisation en janvier pour une infection respiratoire, ne s'était pas personnellement exprimé vendredi après-midi.

Après son décès, il reste le dernier survivant des héros anti-apartheid de cette génération.

La Fondation Mandela, qui gère ses oeuvres caritatives, a toutefois rappelé qu'il l'avait un jour décrite comme une personne «sage et merveilleuse». Et de conclure: «l'Afrique du Sud a perdu un trésor.»

Des funérailles «spéciales nationales officielles», réservées aux anciens ministres et personnalités exemplaires, seront organisées prochainement, a indiqué le gouvernement.