En 1962, le militant antiapartheid Nelson Mandela a compté vingt pas depuis la cuisine de la ferme où il se cachait dans le nord de Johannesburg, avant d'enterrer un pistolet Makarov, symbole de sa conversion récente à la lutte armée.    

Près d'un demi-siècle plus tard, des mètres cubes de terre ont été retournés, mais l'arme semi-automatique n'a toujours pas refait surface. Et la vente prochaine de la propriété voisine a relancé les spéculations.

Nelson Mandela, loué pour sa mansuétude lors de son mandat comme premier président noir d'Afrique du Sud (1994-1999), fut aussi le théoricien du passage à la lutte armée, après le massacre de manifestants à Sharpeville, en 1960, par le régime raciste.

Commandant de Umkhonto Wesizwe (MK, le Fer de la Nation), l'aile militaire du Congrès national africain (ANC), il était entré dans la clandestinité en 1961 avant de se rendre à l'étranger pour lever des fonds.

Lors de cette tournée, un haut gradé de l'armée de l'empereur éthiopien Hailé Selassié lui avait donné le pistolet Makarov, considéré comme la première arme remise officiellement à MK.

Sa valeur est aujourd'hui estimée à 22 millions de rands (3,01 millions$ CAN). Le pistolet n'a pourtant jamais tiré un seul coup, Mandela ayant été arrêté en 1962 avant de pouvoir s'en servir.

Entre-temps, il l'avait caché près de la ferme de Lilieslief, une planque des résistants dans le nord de Johannesburg... et il l'avait oublié.

Ce n'est qu'en 2003, lors d'une visite sur ce site --aujourd'hui un musée dans une zone rattrapée par l'urbanisation-- que l'icône antiapartheid s'en est rappelé.

«Nous sortions du bâtiment principal quand il s'est soudain arrêté pour me dire : «Avez-vous trouvé mon pistolet?» », raconte Nicholas Wolpe, le directeur de la fondation Lilieslief, qui gère le musée. «Cela m'a sidéré parce qu'on n'avait jamais entendu parler de ce revolver!»

Ces quelques mots ont suscité une frénésie : une partie du jardin a été retourné et une maison voisine détruite. En vain.

La fondation a alors contacté un expert qui «a identifié trois caches possibles, dont deux sur notre propriété», précise M. Wolpe.

La troisième est sur le terrain du voisin, qui a refusé toute fouille si la fondation n'achetait pas sa maison. Faute d'accord, le voisin vendra sa propriété aux enchères le 12 mai.

«Nous sommes déçus par sa décision», confie M. Wolpe qui ne pourra pas participer à la vente. «Nous avons toujours dit que nous lui achèterions sa propriété une fois que nous aurons l'argent.»

À l'inverse, la maison de ventes aux enchères High Street Auction Company est ravie de l'aubaine.

«L'intérêt est très grand pour cette propriété, grâce à la valeur symbolique du pistolet», explique sa porte-parole Tracy Purto. «Nous avons été contactés par des Sud-Africains, des étrangers et de hautes personnalités.»

Pourtant, la localisation précise de l'arme reste pour le moins incertaine.

«Nous ne savons pas ce qu'il est advenu du pistolet après le retour en Afrique du Sud de Nelson Mandela le 7 juillet 1962 et son arrestation le 5 août», souligne Sello Hatang, porte-parole de la Fondation Mandela qui gère ses archives et oeuvres caritatives.

«Nous savons que le pistolet existe, qu'on lui a donné et qu'il a été enterré parce qu'il a dit «nous l'avons enterré». Mais qui est-ce «nous» ?», s'interroge-t-il.

Les proches de Nelson Mandela à l'époque sont tous décédés et le vieil homme, âgé de 92 ans, est beaucoup trop fragile pour être interrogé précisément à ce sujet. Au grand regret de M. Wolpe.

«Ce n'est pas n'importe quel pistolet, il a une immense valeur historique», dit-il. «Ma plus grande inquiétude est qu'une bataille s'engage sur «à qui appartient-il?» ».