Tunis restait quadrillée jeudi par les forces spéciales après une première nuit de couvre-feu alors que les affrontements dans une banlieue ont fait huit morts, selon une ONG de défense des droits de l'homme qui fait état de 66 morts dans tout le pays depuis la mi-décembre.

L'armée tunisienne s'est retirée jeudi de la capitale où elle s'était déployée 24 heures auparavant.

Le pays reste plongé dans une contestation inédite du régime qui a fait des dizaines de morts depuis un mois. La présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), Souhayr Belhassen, a dénoncé jeudi à Paris «un massacre qui continue», affirmant détenir une liste nominative de 66 personnes tuées depuis le début des troubles mi-décembre, dont 8 dans la nuit de mercredi à jeudi dans la banlieue de Tunis.

Aucun bilan officiel n'a été publié sur ces violences dans les banlieues d'Ettadhamen et d'Intilaka où vivent quelque 30 000 habitants à environ 15 km du centre de Tunis, qui se sont déroulées malgré le couvre-feu nocturne imposé dans la capitale et ses environs.

Le couvre-feu, décrété mercredi pour une durée illimitée, est la première mesure du genre prise à Tunis depuis l'arrivée au pouvoir du président Zine El Abidine Ben Ali en 1987.

«Toute la nuit, on a entendu des tirs, des cris et des bruits de casse», a déclaré à l'AFP une infirmière. Elle a expliqué que les incidents en banlieue avaient démarré mercredi après-midi pendant un rassemblement «qui a ensuite dégénéré en affrontements violents entre forces de sécurité et des jeunes».

Des habitants se sont déclarés «ahuris» par l'ampleur des dégâts: des commerces ont été saccagés, des locaux municipaux endommagés, des abris d'autobus détruits et un autobus incendié.

À Sfax, un étudiant de 19 ans, Omar Haddad, a été tué mercredi «par des tirs de la police» lors d'affrontements dans cette métropole économique, a indiqué jeudi un témoin à l'AFP, ajoutant que les violences s'étaient poursuivies durant la nuit dans cette ville.

Une Suisse d'origine tunisienne, employée d'hôpital, a également été tuée mercredi soir dans le nord de la Tunisie, a annoncé jeudi le ministère helvétique des Affaires étrangères.

Sur le campus universitaire de Tunis, des enseignants se sont rassemblés jeudi pour protester contre l'«assassinat» la veille d'un professeur d'informatique à l'Université de Compiègne (nord de la France), Hatem Bettahar, un Franco-tunisien, tué par des tirs de la police à Douz.

Dans la capitale, des blindés et des unités d'intervention de la police ont remplacé jeudi ceux de l'armée, et seuls deux véhicules militaires avec des soldats en armes étaient encore postés devant l'ambassade de France.

Des cars remplis de policiers anti-émeutes stationnaient dans les rues latérales menant à l'avenue principale.

Dans la matinée, plusieurs centaines de manifestants ont été dispersés à coup de grenades lacrymogènes dans le centre. Les jeunes rassemblés rue de Rome, proche de l'ambassade de France, ont tenté d'atteindre l'avenue Bourguiba mais en ont été empêchés par les forces de l'ordre qui ont abondamment usé de grenades lacrymogènes.

Auparavant, dans les cafés ouverts, les terrasses habituellement bondées étaient dégarnies, des clients s'exprimant à haute de voix sur les derniers affrontements en banlieues.

Des dispositifs de sécurité renforcés étaient visibles sur la route conduisant au palais présidentiel à Carthage, interdite à la circulation automobile.

Le gouvernement du président Ben Ali avait tenté mercredi de calmer le jeu, avec le limogeage du ministre de l'Intérieur et l'annonce de la libération de toutes les personnes arrêtées à «l'exception de ceux qui sont impliqués dans des actes de vandalisme».

Le ministère de la Jeunesse et des Sports a annoncé jeudi le report de toutes les compétitions sportives «programmées cette semaine», en raison des émeutes.