La Côte d'Ivoire s'est retrouvée samedi avec deux présidents, le sortant Laurent Gbagbo et l'ex-premier ministre Alassane Ouattara qui ont tour à tour prêté serment, saisissant résumé de l'immense division d'un pays abîmé par une décennie de crises.

«Devant le peuple souverain de Côte d'Ivoire, je jure solennellement et sur l'honneur de respecter et de défendre fidèlement la Constitution», a lancé M. Gbagbo lors de sa prestation de serment au palais présidentiel à Abidjan.

Dix ans après son élection déjà controversée, il a été investi devant environ 200 personnes, parmi lesquelles les ambassadeurs de pays africains alliés comme l'Angola, ainsi que celui du Liban.

Il avait été proclamé vendredi vainqueur de la présidentielle du 28 novembre avec 51,45% des suffrages par le Conseil constitutionnel, qui avait invalidé les résultats de la Commission électorale indépendante (CEI) donnant son rival en tête avec 54,1%.

Mais, fort du soutien de l'ONU et de grandes capitales occidentales, M. Ouattara a lui aussi prêté serment «en qualité de président», cette fois par courrier adressé au Conseil et déposé «samedi matin», selon son entourage.

L'ex-rébellion des Forces nouvelles (FN), qui tient le nord du pays depuis le putsch manqué de septembre 2002, lui a apporté son appui.

Chef du gouvernement depuis l'accord de paix de 2007, le leader des FN Guillaume Soro a remis sa démission à M. Ouattara, qui l'a reconduit dans ses fonctions.

La Côte d'Ivoire «sera désormais en paix», a promis M. Ouattara, au terme d'une journée marquée par des violences.

Durant le couvre-feu nocturne, au moins deux personnes ont été tuées après des tirs nourris des forces de l'ordre, certains «à l'arme lourde» selon des habitants du quartier de Port-Bouët au sud d'Abidjan, où s'affrontaient partisans des deux concurrents, ont indiqué des riverains.

À la lisière du quartier populaire d'Abobo et de la banlieue d'Anyama, au nord d'Abidjan, des tirs à l'arme légère s'étaient longuement fait entendre pendant la nuit.

Dans la journée, des quartiers d'Abidjan avaient été livrés à la colère de sympathisants de M. Ouattara, furieux que leur champion ait été mis hors course.

Le quartier de Treichville, où des dizaines de pneus avaient été incendiés le long des rues, était alors noyé sous un énorme nuage de fumée. La police a procédé à des tirs de sommation.

M. Gbagbo se retrouve seul contre une bonne partie de la communauté internationale, comme il l'avait été après l'éclatement de la crise politico-militaire de 2002.

Mais, se posant en garant de la «loi» et de la «souveraineté» de son pays, il a fustigé les «ingérences» venues du «dehors».

Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a exprimé sa «profonde inquiétude» devant cette impasse, «en dépit du résultat transparent et crédible» du scrutin.

De façon très ferme, le représentant de l'ONU dans le pays, Youn-jin Choi, avait contesté les résultats du Conseil constitutionnel. La réplique n'a pas tardé, le pouvoir menaçant d'expulser cet «agent de déstabilisation».

Les États-Unis -qui ont déconseillé à leurs ressortissants tout voyage en Côte d'Ivoire-, l'Union européenne et la Grande-Bretagne ont aussi reconnu l'élection de M. Ouattara.

La France, ex-puissance coloniale, a pris fortement position, alors que parmi les partisans de M. Gbagbo les sentiments antifrançais et anti-«Blancs» se réveillaient. Le président Nicolas Sarkozy a appelé au respect de «la nette et incontestable» élection de M. Ouattara. Quelque 15 000 Français vivent en Côte d'Ivoire.

La première secrétaire du Parti socialiste français, Martine Aubry, a elle jugé que M. Gbagbo «se devait de respecter le choix de son peuple» et de «tout faire pour garantir la paix civile».

Le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, a souligné que son institution, dont Abidjan attend un considérable allègement de dette, ne travaillerait pas avec un gouvernement non reconnu par l'ONU, comme celui de Laurent Gbagbo.

Quant au Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine (UA), il a également avalisé la victoire d'Alassane Ouattara et a rejeté «toute tentative visant à créer un fait accompli».

L'UA a envoyé en «mission d'urgence» en Côte d'Ivoire l'ex-président sud-africain Thabo Mbeki, médiateur dans la crise ivoirienne par le passé.