Le serveur vient tout juste d'apporter nos bières quand Didas Gasana se penche vers moi en chuchotant: «Le type, là-bas, il était là il y a deux minutes?»

Didas Gasana est le rédacteur en chef d'Umuseso («L'Aube»), un des deux hebdos indépendants que le Haut conseil des médias rwandais vient de suspendre pour six mois.

On lui reproche d'avoir publié des articles non fondés, appelé à l'insubordination de l'armée et insulté le chef de l'État. Pourtant, selon Human Rights Watch, Umuseso reste l'une des dernières voix critiques au Rwanda.

La publication ne fait pas dans la dentelle. «Le président Kagame peut-il gagner les élections sans tricher?» demande-t-elle dans un article récent, faisant allusion au scrutin du mois d'août. «Le Rwanda s'enfonce dans la noirceur, voici pourquoi», annonce une manchette.

Le soir de notre rencontre, je mets un peu de temps avant de saisir que Didas Gasana est inquiet. Un homme, seul, vient de s'installer à la table voisine. «Allons plus loin», suggère mon compagnon en désignant un coin sombre près de la piscine de l'hôtel.

Répression de médias. Harcèlement de l'opposition. Inculpation de Victoire Ingabire, une opposante qui vient de rentrer d'exil pour briguer la présidence contre Paul Kagame. Même la représentante de Human Rights Watch vient de quitter Kigali, son visa n'ayant pas été renouvelé. Pourquoi le régime rwandais gonfle-t-il ses muscles, à ce moment précis?

«Le climat politique est très, très tendu», analyse Didas Gasana. Pas seulement à cause de Victoire Ingabire, qui canalise les frustrations du groupe majoritaire, les Hutus, qui se sentent écartés du pouvoir. Et qui a voulu briguer la présidence aux élections d'août prochain.

La perspective d'un schisme interne est, en fait, encore plus menaçante pour le président, estime le journaliste.

Récemment, trois généraux rwandais ont été incarcérés. D'autres ont fui à l'étranger. La capitale rwandaise a été le théâtre d'une série d'attaques à la grenade. Comme par hasard, le régime accuse le général Faustin Kayumba, exilé en Afrique du Sud, d'avoir orchestré ces attentats.

Peu de temps avant de cesser de paraître, le journal de Didas Gasana s'était demandé qui était vraiment l'auteur de ces attaques, et s'il ne s'agissait pas d'une opération téléguidée par le gouvernement.

La suggestion est peut-être rude. Mais depuis que le Haut conseil des médias, un organisme aligné sur le gouvernement, a muselé Umuseso, plus personne n'ose poser publiquement de telles questions.

Il faut dire qu'il n'est pas facile de parler de liberté de la presse dans ce pays où, il y a 16 ans à peine, des médias déchaînés avaient fourni le carburant idéologique justifiant l'extermination des Tutsis.

Interrogé à ce sujet lors de la récente visite de la gouverneure générale Michaëlle Jean, le président Kagame a réglé la question par une pirouette: «Il y a 60 journaux et une vingtaine de stations de radios au Rwanda. Deux hebdomadaires ont été suspendus. Je ne vois pas où est le problème.»