De Wall Street au Darfour, la spéculation financière n'a pas de frontières, mais la réaction des investisseurs floués est plus musclée dans l'ouest du Soudan, où des affrontements meurtriers ont opposé dimanche les victimes d'une fraude pyramidale à la police.

Des centaines de petits épargnants ont manifesté dimanche matin à El-Facher, capitale historique du Darfour et de l'Etat du Darfour-Nord, pour obtenir une compensation après avoir perdu des sommes conséquentes en vendant leurs biens contre une promesse de bénéfices importants.

«Il y a eu entre quatre et dix morts ainsi qu'entre 20 et 30 blessés», a indiqué à l'AFP, un responsable humanitaire sous le couvert de l'anonymat. Le chef de la police du Darfour-Nord, Abdelrahman al-Tayeb Abdel Rahman, a fait état tard dimanche soir de trois morts et de 25 blessés parmi les manifestants.

La police, qui a utilisé les gaz lacrymogènes et distribué les coups de bâton, a aussi arrêté 104 personnes qui tentaient de «détruire» des lieux stratégiques d'El-Facher, a-t-il ajouté dans un communiqué.

Tôt dimanche matin, des centaines de personnes avaient pris la rue d'El-Facher. «Les manifestants voulaient se rendre à la maison du wali (gouverneur) du Darfour-Nord, Mohammed Youssif Kibir, mais la police et les forces de sécurité ont bloqué la rue. La police a ouvert le feu», a dit à l'AFP au téléphone Dirar Abdallah Dirar, un des manifestants.

Les sirènes des ambulances étaient entendues dimanche dans la ville, ont indiqué à l'AFP des humanitaires. «Les coups de feu ont commencé vers 9H00. Nous restons dans nos bureaux», a dit à l'AFP un humanitaire sous couvert de l'anonymat.

«La situation couvait depuis plusieurs semaines, je savais bien qu'un jour où l'autre, l'abcès finirait par crever», a raconté un autre humanitaire également en poste à El-Facher, ville d'environ un demi-million d'habitants relativement épargnée par la guerre civile qui sévit au Darfour depuis 2003.

La situation est tendue depuis quelques semaines après que des milliers de personnes ont perdu des millions de dollars et des biens dans une «chaîne de Ponzi», où les premiers investisseurs sont rémunérés par les dépôts d'investisseurs ultérieurs.

Les victimes de cette fraude dans l'ensemble du Darfour ont vendu leurs biens contre une petite somme d'argent, mais avec la promesse d'intérêts élevés.

Le souk al-rahmat dans le centre d'El-Facher a été rebaptisé «souk al-mawassir» (le marché de l'escroquerie, en arabe vernaculaire), par les habitants. Par ricochet, l'ensemble de cette escroquerie est appelée «al-mawassir» au Soudan.

La révélation de cette fraude a mis dans l'embarras les autorités locales, qui ont annoncé l'arrestation de deux personnes impliquées dans le réseau.

Selon des habitants, le gouverneur du Darfour-Nord avait promis, pendant la campagne des élections nationales du 11 au 15 avril, une compensation aux épargnants volés, mais n'aurait pas tenu cette promesse.

Au cours d'une rencontre vendredi avec des imams et des leaders de la région, M. Kibir avait affirmé que les autorités du Darfour-Nord n'étaient pas impliquées dans cette escroquerie et garanti que les investisseurs floués allaient recouvrer les sommes ou les biens perdus, mais pas la plus-value escomptée, a rapporté l'agence officielle Suna.

M. Kibir a accusé, sans les nommer, des opposants ayant perdu les élections locales de souffler sur les braises afin de déstabiliser le Darfour, a souligné Suna.

«Les manifestations de dimanche semblaient organisées, je ne pense pas que ce soit terminé», a souligné un humanitaire. Et plusieurs citoyens d'El-Facher ont indiqué avoir remarqué une recrudescence de membres de tribus arabes dans la ville.