«On n'arrêtait pas de se pincer pour être sûr qu'on ne rêvait pas», raconte le militant anti-apartheid Desmond Tutu, en se remémorant le sentiment «magique et indescriptible» ressenti à la libération de Nelson Mandela, le 11 février 1990.

«À ce moment précis, nous avons compris que nous ne nous étions pas battus pour rien», poursuit l'ancien archevêque anglican du Cap (sud-ouest), chez qui Mandela a passé sa première nuit hors de prison.

Comme tant d'autres, Mgr Tutu n'avait pas complètement cru le président Frederik de Klerk quand le dernier chef d'Etat de l'apartheid a annoncé, le 2 février 1990, vouloir libérer tous les prisonniers politiques. Y compris Mandela, détenu depuis 27 ans dans les geôles du régime raciste.

«J'ai toujours été intimement convaincu que Mandela serait libéré un jour ou l'autre, mais je n'étais pas sûr que cela se produise de mon vivant», explique-t-il à l'AFP.

Aussi le 11 février, le Nobel de la Paix, venu à Johannesburg pour le baptême d'un de ses petits-enfants, a-t-il dû prendre en urgence un jet privé pour le Cap, où environ 50 000 personnes attendaient Mandela sur la place centrale de Grand Parade.

«Les gens étaient curieux de voir à quoi il ressemblait après 27 ans de prison», se rappelle Allan Boesak, le leader du Front démocratique uni (UDF) moteur de la mobilisation interne dans les années 1980.

«En le voyant de leurs propres yeux, les gens ont senti que leur libération approchait», commente-t-il. «Ce jour a été un tournant, un signal de la fin du règne de la minorité blanche.»

«Jusque-là, Mandela n'était qu'un slogan sur des T-shirts ou des posters. C'était la première fois que je le voyais en vrai, c'était très émouvant», confirme Siraaj Cassiem, un militant alors âgé de 18 ans.

À la mi-journée, le lycéen avait suivi à la télévision la sortie de Mandela de sa dernière prison, Victor Vorster, le poing levé en signe de victoire, aux côtés de son épouse Winnie.

«J'ai appelé un ami et on a immédiatement pris le train pour Grand Parade. L'atmosphère était incroyable, électrique. Je n'ai jamais vu autant de gens heureux, entonnant les chants de libération.»

Parmi eux se trouvaient des centaines de journalistes. «Cela a été le plus grand moment de ma carrière», raconte Paddi Clay, alors employé par une radio canadienne.

La foule était telle que Mandela -qui avait déjà dû attendre Winnie bloquée à l'aéroport de Johannesburg- a peiné à se frayer un chemin. Son chauffeur effrayé a fait demi-tour avant d'y parvenir.

L'impatience montait. «Comme on commençait à s'ennuyer, on s'est mis à l'arrière pour asticoter la police et leur jeter des pierres», se souvient Cassiem.

«Il y a eu une mini-émeute et on s'est demandé si cet évènement incroyable n'allait pas mal tourner», explique Clay. «On craignait tous de voir Mandela assassiné.»

Quand le héros de la lutte est finalement apparu au balcon de la mairie, portant des lunettes de Winnie faute d'avoir pensé à prendre les siennes, la ferveur l'a emporté.

«Nous avons attendu trop longtemps notre liberté. Nous ne pouvons plus attendre. Il est temps d'intensifier le combat sur tous les fronts», lance-t-il à la foule, prônant la négociation.

«Je ne me rappelle pas un seul des mots qu'il a prononcés. Je crois que j'étais trop ébahi», avoue Cassiem qui a arrêté de faire de la politique après ce rassemblement.

«Je me destinais à m'exiler pour rallier Umkhonto we Sizwe (le bras armé du Congrès national africain), mais cela n'avait plus aucun sens: Mandela prêchait la paix.»