Premier président noir d'Afrique du Sud, Prix Nobel de la paix, héros de la lutte anti-apartheid: Nelson Mandela, libéré il y 20 ans des geôles du régime blanc, est vénéré à l'image d'un intouchable saint dont le nom alimente un commerce en or.

Sa troisième épouse, Graça Machel, porte sur lui un regard singulièrement clairvoyant. «Il est tellement spécial», a-t-elle dit de lui dans un entretien à la télévision Al-Jazira. Avant de reconnaître que ce mari au statut de «symbole... n'est pas un saint. Il a ses faiblesses.»

Pourtant, il est tabou de critiquer Madiba, nom de clan de celui que la nation tout entière surnomme «Tata», «Grand-Père».

Dans le but avoué de préserver la réputation d'un héros planétaire, le nonagénaire est tenu à l'écart d'un public toujours avide de la moindre apparition. Toute spéculation sur sa santé déclinante est farouchement démentie par la Fondation qui a repris son nom et son oeuvre auprès des enfants.

Le jeune Mandela est passé aux oubliettes de la mémoire collective. On a retenu le réconciliateur, celui qui a su écarter l'Afrique du Sud de la guerre civile dans laquelle elle menaçait de sombrer dans les années 1990 et effacé le rebelle qui a lancé fin 1961 la lutte armée contre le régime ségrégationniste.

«Mandela est devenu un saint quand il était emprisonné à Robben Island, symbole fort d'oppression et d'isolement», estime Aubrey Matshiqi, du Centre d'études politiques.

La tolérance et le sens du pardon dont il a fait montre à sa libération ont ensuite entretenu la «pureté» de cette image, souligne l'analyste.

Seize ans après les premières élections multiraciales qui ont porté Mandela au pouvoir, l'Afrique du Sud a besoin de maintenir ce symbole dans une société toujours déchirée par les inégalités, remarque-t-il.

Le culte de l'homme parfait est célébré dans le monde entier car Madiba «incarne les valeurs universelles de liberté et de réconciliation», selon M. Matshiqi. Pour preuve, les oeuvres en son honneur dont le dernier film de Clint Eastwood, «Invictus», qui renforcent toutes le mythe.

Sous-verres, horloges et petites cuillères

A Soweto, le grand township proche de Johannesburg où a résidé un temps le héros, les touristes s'arrachent sous-verres, T-shirts, horloges, petites cuillères et bijoux à son effigie en dépit des efforts de la Fondation pour éviter un dérapage à la Che Guevara.

Hommes politiques et vedettes en tous genres se pressent pour se faire photographier à ses côtés et seules quelques rares voix discordantes osent briser le flot d'éloges.

«Quand j'entends dire: "Si l'humanité devait se choisir un père, il s'appellerait Mandela", je ne marche pas. Nelson Mandela est un homme politique. Ce n'est pas un mythe», lâche le président ivoirien Laurent Gbagbo, dans une interview récente à Jeune Afrique.

Certains estiment qu'il aurait pu faire plus durant son mandat présidentiel pour combattre la pauvreté et le sida, «peut-être son plus grand échec comme il le reconnaîtrait lui-même», souligne Mark Gevisser, auteur d'une biographie sur Thabo Mbeki, son successeur.

«M. Mandela n'est certainement pas un saint», renchérit le dernier président de l'apartheid Frederik de Klerk, qui a négocié avec lui le virage démocratique et partagé le Prix Nobel de la paix en 1993.

«Il était souvent excessif et parfois assez injuste dans nos interactions, mais cela faisait partie du jeu politique», se souvient-il, avant de rappeler l'incontestable: Nelson Mandela «est une des plus grandes personnalités politiques de la fin du XXe siècle».