Le spectre des «escadrons de la mort» en Côte d'Ivoire et d'une éventuelle implication de Simone Gbagbo ressurgit avec une demande d'entraide judiciaire à la Cour pénale internationale des juges français enquêtant sur la disparition de Guy-André Kieffer à Abidjan en 2004.

Les juges parisiens Patrick Ramaël et Nicolas Blot, qui enquêtent sur la disparition du journaliste franco-canadien, ont adressé «en début de semaine» une demande d'entraide judiciaire sur l'éventuelle implication d'Ivoiriens, dont Simone Gbagbo, dans des «escadrons de la mort», a-t-on appris vendredi de sources proches du dossier. Cette requête officielle vise à savoir «si la CPI dispose d'éléments impliquant une dizaine de personnes dans les escadrons de la mort», parmi lesquelles Simone Gbago, épouse du chef de l'État ivoirien, selon l'une de ces sources.

Elle est intervenue peu avant que Laurent Gbagbo n'accuse mercredi les magistrats de «vouloir politiser cette affaire (Kieffer, ndlr) qui n'en est pas une». Me Rodrigue Dadjé, avocat de Simone Gbagbo, a fustigé «une action de diversion» et un «acharnement injustifié et absurde».

Les noms de ces personnes apparaissent tous dans l'enquête des juges français sur la disparition de M. Kieffer. Outre Mme Gbagbo, la demande d'entraide vise notamment le ministre ivoirien chargé du Plan Paul-Antoine Bohoun Bouabré, et l'ancien ministre de la Défense Kadet Bertin, selon cette source.

Les deux mis en examen dans le dossier, Jean-Tony Oulaï - soupçonné d'avoir dirigé le commando auteur de l'enlèvement - et Michel Legré - beau-frère de Simone Gbagbo avec qui le journaliste avait été vu pour la dernière fois - figurent également dans la demande. Tout comme Seka Yapo Anselme, chargé de la sécurité de la Première dame et Patrice Baï, l'ancien chef de la sécurité de la présidence.

Simone Gbagbo, MM. Bohoun Bouabré, Seka et Baï ont été entendus comme témoins en avril à Abidjan par les juges français.

Des groupes se livrant à des exécutions sommaires et extrajudiciaires avaient sévi en Côte d'Ivoire à la suite du déclenchement d'une rébellion en septembre 2002.

Dans un rapport de janvier 2003, l'ONU estimait qu'ils «seraient constitués d'éléments proches du gouvernement», une accusation fermement démentie tant par la présidence ivoirienne que par Mme Gbagbo.

Une annexe de ce rapport, comprenant les noms de 95 personnes soupçonnées de ces exactions, devait être «remise à un procureur», avait affirmé sans plus de précision le secrétaire général de l'ONU de l'époque, Kofi Annan. Sur cette liste, rendue publique par RFI, figuraient notamment les noms de Simone Gbagbo et de Kadet Bertin.

Pour le frère du journaliste, Bernard Kieffer, cette demande d'entraide à la CPI «est très intéressante car elle permet d'élargir le débat, on change de braquet».

«Ce n'est plus l'affaire Kieffer, mais la question des exactions en général qui est posée», a-t-il affirmé à l'AFP, rappelant qu'un autre Français, un avocat, avait été brièvement enlevé fin 2004 à Abidjan.

Les juges ont précisé à la Cour, basée à La Haye, «tenir à disposition» des témoignages, recueillis dans le cadre de leur instruction, sur l'éventuelle implication dans des exactions de personnes apparaissant dans l'enquête Kieffer, selon ces sources proches du dossier.

Journaliste indépendant, Guy-André Kieffer a disparu le 16 avril 2004 alors qu'il enquêtait sur des malversations, notamment dans la filière cacao, principale richesse du pays. Son corps n'a jamais été retrouvé.

Les enquêteurs français soupçonnent certains cadres du régime liés aux milieux économiques d'être à l'origine de son enlèvement.