Avec une amnistie et une trêve illimitée dans le delta du Niger gorgé de pétrole, le Nigeria se prend à espérer la fin de trois ans de violences et de production en chute libre, mais les observateurs s'interrogent sur les chances réelles de paix et le gouvernement est au pied du mur.

«Il ne serait pas réaliste de dire que c'est la fin des problèmes», estime Elisabeth Donnelly, responsable du programme Afrique de l'institut britannique Chatham House.

Le processus d'amnistie est «une chance de voir des changements» mais il y a «beaucoup de raisons d'être sceptique», selon cette spécialiste du Nigeria qui craint notamment des «promesses non tenues».

Face aux attaques incessantes des groupes armés, responsables du déclin de la production de brut (environ 1,7 millions de barils/jour contre 2,6 en 2006), le président Umaru Yar'Adua s'est résolu en juin à offrir une amnistie.

Des milliers l'ont acceptée, ont déposé les armes et le principal groupe armé, le Mend, qui demande une plus juste répartition de la manne pétrolière et un véritable développement de la région, a décrété un cessez-le-feu illimité.

Sur le terrain, où les multinationales pétrolières vivent depuis 2006 au rythme des enlèvements et des sabotages, on souffle.

«On en voit les effets. Il n'y a pas de troubles. Il y a encore des destructions mais c'est de la criminalité ordinaire», note un dirigeant d'une multinationale.

Mais, selon lui, les autorités ne se seraient pas bien préparées. Ainsi, lors d'une récente réunion entre représentants des majors et le vice-président Goodluck Jonathan, ce dernier leur a demandé des suggestions pour le processus d'amnistie.

«Ils veulent visiblement faire quelque chose, c'est rassurant, mais il y a un peu d'improvisation dans tout ça. C'est en juin, quand le président a lancé son amnistie, qu'il aurait dû penser à l'après».

Pour Marc-Antoine Pérouse de Montclos, chercheur à l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et spécialiste du Nigeria, le désarmement en cours est «un coup d'épée dans l'eau».

«Quant au processus de DDR (désarmement, démobilisation et réinsertion), on n'a que le premier «D», le désarmement (...). Les DDR de l'ONU, par exemple, s'accompagnent ou sont suivis de négociations politiques. Ici ça n'est pas le cas».

«La question est de savoir dans combien de temps les violences vont reprendre», redoute-t-il.

Le processus «pourrait être un premier pas important. Ce qu'il faut, c'est un engagement à long terme pour une paix durable» et un réel projet de développement pour le sud pétrolifère, note un diplomate à Abuja.

Face aux promesses des autorités, notamment de verser directement des pétrodollars aux communautés déshéritées du delta, tous s'accordent à dire qu'il faut agir vite.

«Si aucun résultat n'est perçu rapidement sur le terrain, il y a un risque réel que les gens reprennent les armes», estime le diplomate.

Pour Mme Donnelly, les facteurs qui ont favorisé l'émergence du Mend - «des jeunes frustrés et au chômage, des armes faciles à obtenir, le business du vol de pétrole et le sous-développement, existent toujours».

«Le Nigeria est assis sur une poudrière car (les militants) n'ont pas rendu toutes leurs armes», remarque Joseph Ewah, responsable d'un groupe défendant les droits des Ijaw, l'ethnie dominante dans le delta.