L'enquête sur la disparition en 1965 de Mehdi Ben Barka a connu un nouveau rebondissement avec la suspension par la justice française de quatre mandats d'arrêt internationaux qu'elle venait d'autoriser, tandis que la famille de l'opposant marocain se demande si Paris cherche vraiment à éclaircir cette affaire.

Le parquet de Paris a annoncé vendredi qu'il demandait la suspension de la diffusion de ces mandats visant quatre Marocains dont deux généraux, l'un d'eux étant le chef actuel de la gendarmerie royale marocaine, le général Hosni Benslimane. Le parquet a déclaré qu'Interpol, qui avait diffusé ces mandats il y a quelques jours après le feu vert du ministère de la Justice, sous forme d'«avis de recherche internationaux à des fins d'extradition», avait depuis demandé des précisions «afin de les rendre exécutables». «Sans ces précisions, ces mandats sont inexécutables», a précisé le parquet.

Ben Barka, chef de file de l'opposition marocaine en exil et figure emblématique du tiers-mondisme, a disparu le 29 octobre 1965 devant la brasserie Lipp à Paris, lors d'une opération menée par les services marocains du roi Hassan II avec la complicité de policiers et de truands français.

L'affaire n'a jamais été totalement élucidée malgré deux instructions judiciaires. Le corps de Ben Barka n'a toujours pas été découvert et les conditions de sa mort n'ont pas été établies.

Les mandats d'arrêt avaient été signés en octobre 2007 par le juge parisien Patrick Ramaël, alors que le président Nicolas Sarkozy était en visite au Maroc, provoquant l'embarras de la délégation française.

«C'est une mascarade. Un même ministère qui se déjuge en 24 heures, c'est une manifestation flagrante et cynique de la raison d'État», a déclaré samedi à l'AFP Bechir Ben Barka, fils de l'opposant marocain. «La ministre de la Justice a-t-elle été déjugée par l'Elysée?», s'est-il interrogé.

La Chancellerie a démenti toute intervention politique.

«Il n'y a aucune dimension politique», a déclaré Guillaume Didier, porte-parole du ministère de la Justice. «Interpol, constatant une insuffisance dans la rédaction de ces mandats, dit qu'ils ne sont pas exécutables en l'état, contraignant le parquet à demander la suspension de leur diffusion dans l'attente des compléments demandés», a-t-il ajouté.

Au siège d'Interpol à Lyon, on s'est refusé à tout commentaire.

Pour l'avocat de la famille, Me Maurice Buttin, «depuis 44 ans, il y a une complicité des deux côtés de la Méditerranée, au départ pour favoriser la disparition de Mehdi Ben Barka, maintenant pour empêcher la vérité d'éclore».

Pour autant, l'avocat «ne désespère pas que l'enquête reparte d'ici quelques semaines».

Le Maroc n'a fait aucun commentaire officiel sur ce nouvel épisode. <i>La Presse</i> écrite marocaine de samedi mentionnait seulement l'annonce de la diffusion des mandats, la demande de suspension étant intervenue tard vendredi.

Outre le général Benslimane, les mandats suspendus visent le général Abdelhak Kadiri, ancien patron du renseignement militaire, Miloud Tounsi, alias Larbi Chtouki, un membre présumé du commando marocain auteur de l'enlèvement, et Abdlehak Achaachi, agent du Cab 1, une unité secrète des services marocains.

Ce rebondissement intervient alors que le ministre français de l'Intérieur Brice Hortefeux est revenu mardi d'une visite de trois jours au Maroc, où il s'est notamment entretenu avec son homologue Chakib Benmoussa.