Cet été, le Maroc célèbre le 10e anniversaire du règne de Mohammed VI, le jeune roi qui a succédé à son père, le très autoritaire Hassan II. Par conséquent, c'est l'heure des bilans. Un magazine indépendant a cependant appris à ses dépens que tous les examens ne sont pas permis dans le royaume.

Les presses étaient encore chaudes quand, samedi dernier, les autorités marocaines ont saisi 100 000 exemplaires du magazine indépendant TelQuel et de sa version arabe, Nichane, pour les détruire. Le crime reproché au magazine? Avoir fait subir au roi du Maroc son premier examen populaire.

 

Pour marquer le 10e anniversaire du règne de Mohammed VI, le jeune roi qui a succédé à son père, Hassan II, le magazine a décidé d'étudier le souverain sous toutes ses coutures.

Pendant plusieurs semaines, TelQuel a publié des enquêtes remplies de détails sur les finances personnelles, les décisions et la vie privée de celui que les Marocains ont rebaptisé M6. À l'ère de Hassan II, le roi autoritaire, une telle liberté de la presse aurait été impensable.

Cette semaine, TelQuel devait publier le dernier pan de ce grand portrait: un sondage mené auprès de 1108 Marocains sur le travail de leur roi. Le quotidien français Le Monde s'était associé à cette aventure.

Les résultats étaient grandement favorables au roi: 91% des sondés avaient une opinion positive de son règne. Néanmoins, les autorités marocaines sont intervenues pour que ces données n'arrivent pas jusqu'à la population marocaine: le magazine a été détruit avant sa distribution. La vente du Monde du 4 août a été interdite au Maroc.

«Le processus de liberté de la presse est irréversible au Maroc, mais les hebdomadaires TelQuel et Nichane ont oublié, en publiant leur sondage sur le roi Mohammed VI, que la monarchie marocaine ne peut faire l'objet d'un débat, même par voie de sondage», a dit à l'AFP le ministre de la Communication, Khalid Naciri, pour expliquer sa décision.

«On doit pouvoir le critiquer»

L'éditeur du magazine, Ahmed R. Benchemsi, ne voit pas les choses du même oeil. «Si le roi dit qu'il est un monarque exécutif, il doit pouvoir subir l'évaluation de son peuple. On doit pouvoir le critiquer. Il n'y a pas de loi qui interdise un sondage», tonne l'éditeur de la publication visée, joint par La Presse au téléphone.

«Certes, la liberté d'expression existe au Maroc, mais cet incident permet de voir qu'elle n'est pas garantie. Le processus de démocratisation est loin d'être terminé», ajoute-t-il. Le Monde et l'organisation Reporters sans frontières ont condamné l'acte de censure.

Selon le politologue marocain Mohamed Tozy, le magazine marocain savait pertinemment dans quelle bataille il se lançait en commandant le premier sondage sur le roi de l'histoire du royaume marocain.

«Il y a depuis des années une bataille pour le rapport de force entre la monarchie et la presse. Si le roi avait accepté ce sondage, il aurait aussi accepté de se soumettre à la sanction populaire», explique l'auteur de Monarchie et islam politique au Maroc.

L'expert de la politique marocaine note que, malgré les quelques réformes sociales que Mohammed VI a mises de l'avant et qui le distinguent de son père, il a refusé à ce jour de transformer la monarchie de l'intérieur.

«L'institution monarchique a été dessinée par Hassan II. Mohammed VI ne s'éloigne pas du plan qui a été tracé», estime-t-il.

Trop de droits aux femmes

D'ailleurs, les résultats censurés du sondage de TelQuel montrent que les Marocains sont loin de lui en tenir ri-gueur. Trois Marocains sondés sur quatre estiment que le roi est une personne «sacrée». Un répondant sur deux croit que la monarchie est «démocratique».

En fait, la principale critique qu'a reçue le roi dans ce sondage concerne l'initiative pour laquelle il a été le plus félicité sur la scène internationale, soit la réforme de la Moudawana, le code marocain de la famille qui régit des questions comme le mariage, le divorce et l'héritage.

La réforme de Mohammed VI a fait faire des bonds de géant aux droits des femmes en leur permettant notamment d'obtenir le divorce, en les affranchissant de la tutelle de leur père et en rendant pratiquement impossible la polygamie.

Interrogés sur cette réforme, 49% des répondants ont dit que le roi avait donné trop de droits aux femmes.