Si l'éloge du bilan du président Omar Bongo a été quasi-unanime au Gabon tout de suite après sa mort début juin, des voix commencent, discrètement mais sûrement, à évoquer les failles d'un système qui lui a permis de se maintenir au pouvoir pendant 41 ans.

Ces critiques n'émanent plus seulement de la société civile, qui était jusque-là l'une des seules voix discordantes au Gabon. Elles viennent de l'intérieur du régime.

«Après l'ère Omar Bongo Ondimba, pour une politique de rupture». Le titre surprend, d'autant qu'il figure en bonne place dans L'Union, quotidien gouvernemental toujours loyal à l'égard de son «présida» et dont le logo est encore barré d'un bandeau noir symbolisant le deuil.

L'auteur de l'article le reconnaît lui-même: «À la mort d'un patriarche ou d'un roi, en Afrique, seule l'oeuvre qui aura positivement marqué ses semblables est mise en exergue».

«Pour autant», s'interroge-t-il, «serait-il juste de dire que durant toutes ces 40 années de règne, nous avons vécu dans le meilleur des mondes? Assurément non». «Le successeur du président Bongo Ondimba doit (...) rompre avec le mode de gestion qui a longtemps causé du tort à l'ensemble de la société gabonaise», plaide le journal.

En cause, l'un des piliers du système Bongo: la «géopolitique», ce savant équilibre entre ethnies et régions au sein des institutions. Une politique qui a servi de prétexte «pour justifier le repli identitaire, véritable négation de l'unité nationale» pourtant tant vantée par le régime.

«Un tel article n'aurait jamais été possible du vivant de Bongo», commente un haut fonctionnaire qui a requis l'anonymat. «Les gens ont tourné très rapidement la page Bongo».

Pour le politologue Jean-François Obiang, le Gabon «commence déjà à sortir du système de très large consensus mou mis en place par le président et qui avait comme unique dénominateur commun le +respect+ affiché pour la personne de Bongo».

Parmi les critiques, à peine voilées, des derniers jours: celle du dessinateur de presse Lybek, qui, dans ses vignettes «Gabonitudes», met en scène un aspirant successeur réclamant «un peu plus de temps pour magouiller (sa) candidature».

«Ici, c'est maintenant: Constitution, concertation et consensus», réplique la foule au politicien véreux qui constate, dépité: «Oh!? Donc on ne peut plus faire comme à l'époque...» Sous-entendu, l'époque Bongo.

Même constat pour l'Agence gabonaise de presse (AGP), alors que les affiches géantes dans Libreville promettent encore «gloire éternelle» au «regretté président». «Après les hommages rendus au président Bongo, qui ont vraisemblablement masqué les failles de 41 ans de pouvoir», son parti risque d'être déchiré par les luttes intestines, écrit cet organe officiel.

Seulement, note-t-il, «le temps où les chèques et/ou la mallette de cash dissipaient les rivalités internes» à la majorité présidentielle est désormais «révolu».

Pour L'Union, tous ces travers du système qui commencent à être identifiés sont «autant d'obstacles au développement», dans un pays pétrolier aux revenus élevés mais dont les routes sont en piteux état et les système sanitaire et scolaire à l'abandon.

«Les gens savent que, lors de la prochaine présidentielle, les candidats ne vont pas se départager en revendiquant l'héritage de Bongo, puisque ce sont tous, de près ou de loin, ses héritiers», estime Jean-François Obiang. «Ils doivent commencer à faire l'inventaire des années Bongo, pour ensuite ébaucher un programme pour l'avenir».