Les crèmes éclaircissantes pour la peau, à base de corticoïdes et d'agents dépigmentants très puissants, n'ont jamais eu autant de succès sur les marchés du Sénégal où elles s'exposent en vente libre, malgré leur dangerosité avérée.

Dans son cabinet de l'hôpital Aristide Le Dantec, à Dakar, la dermatologue Suzanne Oumou Niang s'alarme de voir que «leur utilisation est en augmentation constante depuis une dizaine d'années». «Ces crèmes sont en vente libre alors qu'elles ne devraient être livrées que par ordonnance et pour des affections dermatologiques! Certains corticoïdes n'ont même pas l'autorisation de vente dans les pharmacies», souligne le Pr. Niang.

Dans le service où elle exerce, «60% des cas d'infections sévères et profondes de la peau sont liés à l'application de produits de dépigmentation».

Pour elle comme pour bien d'autres médecins dakarois, cette vogue est devenue «un vrai problème de santé publique».

Dans les échoppes du marché Sandaga, en plein centre de la capitale sénégalaise, ce sont des cartons entiers de crèmes «Clair and White», «X-White» ou «L'Abidjannaise» que les marchands disent écouler quotidiennement.

Les flacons se vendent de 500 CFÀ à 25 000 CFÀ (0,75 à 38 euros), les moins chers étant importés de Côte d'Ivoire, du Mali ou fabriqués au Sénégal.

Sur les étiquettes, le taux d'hydroquinone - dépigmentant interdit dans l'Union Européenne depuis 2001 - est officiellement de 2%.

En vérité, confesse un vendeur, «sur beaucoup de produits, le taux indiqué n'est pas le bon. Il est plutôt de 5%».

Depuis quatre mois, Mounass, 21 ans, s'enduit de ces produits deux fois par jour.

Parce qu'elle estime que «les hommes préfèrent les femmes à la peau claire», elle peut dépenser 40 000 FCFÀ (61 euros) par mois pour sa dépigmentation, soit l'équivalent du salaire minimum.

En dépit de tous les avertissements, la jeune femme assure ignorer les dangers de ces produits.

Les patientes que le Pr. Niang voit défiler à l'hôpital ont de l'acné, des tâches noires, des vergetures, des abcès. Deux cas de cancers de la peau spécifiquement dus à l'utilisation de crèmes éclaircissantes ont même été recensés ces quatre dernières années.

«Le risque de décès est surtout lié aux infections sévères de la peau, principalement dues au corticoïdes, qui peuvent se généraliser» (septicémie), explique la dermatologue.

L'utilisation de corticoïdes peut également engendrer hypertension et diabète.

Et une étude effectuée en 2006 à la maternité de l'Institut d'hygiène sociale de Dakar a montré que les femmes utilisant des corticoïdes à outrance accouchaient d'enfants d'un poids plus faible que la moyenne des bébés, selon la dermatologue Fatimata Ly, présidente de l'Association internationale d'information sur la dépigmentation artificielle (Aiida) créée en 2002.

 Chaque soir, pendant 20 ans, Mme Diop s'est appliquée de tels produits éclaircissants, jusqu'au jour où des taches noires sont apparues sur sa peau. «Pour pouvoir arrêter, j'ai été aidée par un ami qui m'a soutenue. Sans lui cela aurait été difficile», raconte cette femme de 50 ans.

Selon les médecins, l'utilisation des produits de dépigmentation finit par provoquer une sorte de «dépendance psychologique». «Les femmes ont l'impression que si elles ne s'en servent plus, elles ne seront plus les mêmes», constate le Pr. Niang.

Durant l'été, l'Aiida organisera à Dakar une journée de consultations gratuites et des séances de prévention.