Les grèves de la faim sont si courantes qu'elles passent inaperçues, estiment des femmes du Kenya qui ont décidé, pour se faire entendre, de faire une grève...du sexe. Nos collaborateurs font le point sur l'efficacité de ce moyen de pression inusité.

La grève du sexe lancée la semaine dernière au Kenya fait peu d'adeptes. Des films érotiques sont toujours projetés dans des autobus de Nairobi et les femmes interrogées par La Presse n'ont pas l'intention de priver leurs hommes d'une partie de jambes en l'air.

 

À l'origine du mouvement, une coalition de 10 groupes de défense des droits des femmes veut éviter que le pays ne sombre de nouveau dans le chaos des élections de décembre 2007, où 1500 personnes ont péri.

«Nous aurions pu faire la grève de la faim, mais personne ne nous aurait remarquées, soutient Rukia Subow, présidente du plus vieux regroupement de femmes au pays, Maendeleo Ya Wanawake. La situation est tendue et l'équilibre du pays ne tient qu'à un fil. Nous voulons que les politiciens agissent contre la famine et la violence.»

Le 21 avril dernier, un gang de rue s'est attaqué à la population d'un village du centre du pays à coups de machettes et de pierres, tuant 26 personnes. Selon la coalition, cette violence est le résultat de la lutte de pouvoir que se livrent le président Mwai Kibaki et le premier ministre Raila Odinga.

Le sexe, un tabou

Assise dans un parc du centre-ville de Nairobi, Nessa Odheambo, 18 ans, prend un bain de soleil avec quelques amis. Elle soutient que repousser son homme est une offense que plusieurs n'oseront jamais commettre.

«Au Kenya, certaines femmes sont battues par leur mari pour qu'elles aient des relations sexuelles, dit-elle. Cette grève ne fonctionnera pas puisque notre société n'est pas assez moderne.»

À Kibera, plus grand bidonville d'Afrique, au coeur de Nairobi, l'idée d'une grève du sexe en fait rire plus d'une.

«C'est stupide et égoïste, s'exclame Gabriela Juma, 21 ans, les pieds dans la boue du quartier constitué de maisons de tôle. Comme épouse, renoncer au sexe équivaut à brimer les droits de son mari.»

Le sexe est toujours un sujet tabou en Afrique, selon Lilian Mutanda Arunze, autre habitante de Kibera. «Cette grève n'aura pas d'impact, affirme-t-elle. La vie privée et la politique sont deux choses distinctes. Une fois dans mon lit, il n'y a que moi et mon époux. J'y fais ce que je veux.»

Tout le monde en parle

Mme Subow, musulmane au voile noir, reconnaît que peu de femmes respectent cette semaine de l'abstinence.

«Nous ne sommes pas dans les chambres à coucher des gens et n'avons pas de police du sexe. Le but est de faire parler de nous et, jusqu'à présent, tout le monde en parle!»

Ce moyen de pression inusité prend fin aujourd'hui.

Si la plupart des femmes ne croient pas que l'abstinence soit le meilleur moyen de panser les plaies du Kenya, plusieurs reconnaissent l'urgence d'agir.

«Nous devrions aller par centaines parler au président les yeux dans les yeux, martèle à la sortie de la messe une pasteure pentecôtiste, Veronica Ochuka. Si ses filles ou sa femme étaient violées, il agirait. Qu'il fasse la même chose pour son pays!»

Jeudi dernier, la femme du premier ministre, Ida Odinga, a annoncé qu'elle se joignait au mouvement. Cette initiative amuse Doyle Nyakundi, un acteur de Kibera.

«La grève du sexe n'est pas dramatique pour les politiciens. De toute façon, ils sont tellement vieux qu'ils n'auraient probablement pas eu de relations sexuelles cette semaine!»

 

République du Kenya

Capitale : Nairobi

Superficie : 582 650 km2

Population: 37,5 millions

Groupes ethniques: Kikuyu (22%), Luhya (14%), Luo (13%), Kalenjin (12%), Kamba (11%), Kisii (6%), Meru (6%), autres (16%).

Langues: anglais (langue officielle), kiswahili (langue officielle), nombreuses langues indigènes.

Religions : protestants (45%), catholiques (33%), islam (10%), autres (12%).

Régime: république

Président : Mwai Kibaki