Dans la maison du président bissau-guinéen Joao Bernardo Vieira, tué lundi par des militaires, quasiment toutes les portes sont criblées d'impacts de balles. L'armoire recelant ses costumes sombres aussi. Du sang macule une chaise de la salle à manger et les murs de la douche.

«Nous faisons visiter les lieux à la presse pour que tout le monde sache ce qui s'est passé» dit un membre de sa famille, demandant impérieusement à ne pas être identifié.

«Cette sauvagerie. Est-ce que c'est normal dans une société civilisée?», interroge-t-il, en ouvrant pour la première fois les lieux à des journalistes.

Les trous laissés par les tirs de roquettes RPG, dans le mur d'enceinte et à l'intérieur, témoignent de la violence de l'attaque qui a coûté la vie au président ce petit pays pauvre et instable d'Afrique de l'Ouest, lundi vers 04H00 (locales et GMT).

Quelques heures auparavant, le chef état-major des armées, le général Batista Tagmé Na Waié, avait été mortellement blessé dans un attentat à la bombe au quartier général.

«J'étais venu l'avertir qu'après la mort de Tagmé, on viendrait ici pour le tuer, mais il a décidé de rester», affirme l'un de deux proches qui mènent la visite.

Lundi matin, un porte-parole de l'armée avait annoncé la mort du chef de l'Etat en l'accusant d'avoir été «l'un des principaux responsables de la mort de Tagmé», avant de revenir sur ses déclarations.

Mais ses proches s'emportent: «S'il avait fait tuer Tagmé, est-ce que vous croyez qu'il serait resté tranquillement à Bissau? Pourquoi n'a-t-il pas fui? Il a même appelé tous les hauts responsables de l'armée pour une réunion!».

Dans la rue, les vitres du «Hummer» présidentiel noir sont brisées par des impacts de balles. Sur le toit de tuiles éventré de la maison, des vautours sont rassemblés.

Dès l'entrée, flotte l'odeur de sang qui macule le sol de la salle à manger. Sur une chaise ensanglantée, est posé un chargeur d'AK-47. Et sur le sol, une machette sale et des douilles de balles. Des petits fours restent sur la table.

«Huit personnes» se trouvaient à l'intérieur au moment de l'attaque, selon les meneurs de la visite: «le président, sa femme, la soeur de sa femme, son attaché de presse, le représentant du protocole, deux avocats» et «un garde qui a été tué».

«L'attaché de presse a été grièvement blessé à l'épaule et s'est réfugié dans la douche», dont le carrelage est aussi tâché de sang, explique anonymement un voisin, entré pour la visite. Les lieux ont été en partie pillés. Un petit coffre fort a été fracturé.

«Après l'attaque, les militaires se sont faits cuire de la viande dans la maison même», explique le voisin. «Ils ont même essayé d'emporter un des congélateurs pleins de viande. Mais je pense qu'un officier est venu leur dire d'arrêter» le pillage.

Dans la cour, les seaux à champagne ne semblent pas avoir servi, mais des bouteilles de bière vides gisent dans un grand désordre.

Pour ses deux proches, le président, au pouvoir pendant 23 ans (1980-1999, puis 2005-2009) a été «tué pour raisons politiques». «On avait déjà essayé de l'assassiner le 23 novembre», en attaquant cette maison, rappellent-ils. Deux gardes présidentiels avaient alors été tués.

Sur la table basse du salon, le brouillon d'un texte, à l'encre verte. Des notes prises «par l'attaché de presse» après l'assassinat du chef d'état-major, affirme un proche du président en le découvrant.

On y lit: «1) Informer 2) Déplorer et condamner 3) Appeler au calme. 4) Aux unités, maintien de l'ordre et respect de la Constitution, soumission au pouvoir (...)».

Un programme pour la matinée de lundi est évoqué: «chefs militaires, 9H00, conseil des ministres, 10H30».

lbx/cpy/ej