Le pourtour du petit aéroport de Goma, que les Casques bleus de la Mission de l'ONU au Congo font semblant de défendre, porte les stigmates du volcan Nyiragongo: son éruption en 2002 a chassé un demi-million d'habitants, presque toute la population de la capitale du Nord-Kivu.

Les coulées de lave ont durci en pierres noires parmi les constructions épargnées et les champs à nouveau verdoyants. Les habitants sont revenus. Au nord de la ville, le cône décapité et fumant du volcan se perd dans les nuages.Huit années plus tôt, Goma a subi une autre éruption: celle du Rwanda, où la victoire de la minorité tutsie en 1994 à la suite du génocide perpétré contre cette ethnie a déversé des centaines de milliers de Hutus au Congo. Incluant l'armée défaite et les milices Interhamwe, que le Rwanda appelle les «génocidaires».

Une partie de cette lave humaine a été décimée par l'Armée patriotique rwandaise (APR) à la frontière. Mais le gros des réfugiés s'est répandu à l'intérieur. Ils ont refait leur vie parmi les Congolais. Tout en préparant, avec des soldats de l'ancien régime groupés dans le Front démocratique de libération du Rwanda (FDLR), leur propre reconquête du pays - véritable cauchemar de Kigali, siège du gouvernement rwandais.

«Quand les rebelles tutsis ont menacé Goma en août, les déplacés ont fui. Je savais que la ville ne tomberait pas: Bush a appelé Kigali qui a stoppé Laurent Nkunda. Goma peut retrouver la paix et les Hutus peuvent rentrer au Rwanda si l'Occident le veut», dit le maire de la ville, Rachidi Tumbula.

Deux millions de déplacés

Goma s'élève à la pointe nord du lac Kivu, en face de la ville rwandaise de Gisenyi. La frontière longe la route de l'aéroport vers Rutshuru, au nord. «Voyez comme les Tutsis occupent la frontière, avec leurs maisons et leurs champs», note Vincent Tengetenge, un ancien séminariste.

Pas question de s'aventurer loin, à moins d'autorisations de l'armée et des milices rivales. Les hommes de Nkunda, charismatique chef rebelle, sont à Rutshuru. Serpentant au ralenti sur la lave durcie entre les collines, on est bloqués à une barrière: l'armée rwandaise est entrée à Rutshuru, avec la permission du Congo.

La nouvelle se répand comme une traînée de poudre. C'est l'incrédulité et le désarroi. Les commerçants ferment boutique. Les gens pressent le pas. La tension est palpable.

«C'est imprévu. Les deux armées vont neutraliser Nkunda et les FDLR», explique au téléphone un responsable qui a organisé une visite des camps de déplacés.

On prend la route du nord-ouest vers Masisi, bordée de paisibles villages. On emprunte un sentier parmi les arbres. Dans une clairière se dresse un séminaire que fréquentent des étudiants étrangers. Plus loin, on débouche sur le camp de Muhungu, avec ses petites tentes de plastique blanc serrées les unes sur les autres entre les collines. Des enfants accourent, au grand dam des policiers.

«Plus de deux millions de déplacés vivent comme ça chez nous», dit Paul. «Ils ont été chassés de leurs villages par les rebelles. Beaucoup ont été massacrés. Ils vivent de la charité étrangère et ils ont hâte de rentrer cultiver leurs terres», ajoute-t-il.

«Partager ses richesses»

«Avant l'éruption du Rwanda, Goma était un paradis. La sécurité régnait. Le Nord-Kivu nourrissait Kinshasa», dit Léon Bariyanga, président de l'Assemblée provinciale du Nord-Kivu. Des députés présents approuvent ses propos.

«Le Rwanda dit protéger les Tutsis du Congo. On est 450 ethnies ici. Personne n'est menacé. Les Tutsis n'ont pas élu un seul député sur 42 à l'Assemblée provinciale. Les Hutus ont neuf élus. Voilà la réalité», poursuit-il.

Le comble, le président français Nicolas Sarkozy vient d'inviter le Congo à «partager ses richesses» avec son «petit voisin», le Rwanda.

L'indignation explose. «Qui fera partir les Rwandais?» demandent les Congolais. «On va vers de nouveaux massacres. Les Hutus vont se venger sur les Congolais», disent-ils, en suggérant que Sarkozy partage les ressources de la France avec ses propres voisins.

«Je rentre d'une tournée dans le nord-est. Les rebelles ougandais, traqués eux aussi, ont massacré des paysans congolais et rasé des villages. Il y a 100 000 déplacés», dit le Dr Bruno Miteyo Nyenge, de Caritas-Développement. «Il faut absolument éviter d'acculer les Hutus rwandais à cette extrémité», dit-il.