La guerre fait chaque année 500 000 morts directs et indirects en République démocratique du Congo. Une tragédie oubliée sur laquelle notre journaliste, Jooneed Khan, braque les projecteurs aujourd'hui, demain et dimanche.

Les passagers pour Kinshasa attendent depuis une vingtaine de minutes dans l'autocar sur l'aéroport de Roissy. Las, le conducteur a éteint le moteur et coupé le chauffage. Il pleut. On grelotte sous l'humide grisaille parisienne, les enfants surtout.

 

Biko en profite pour appeler Kinshasa sur son portable. «On a du retard, oui. Mais venez à l'aéroport. On compte sur vous. On a 18 valises à transporter!»

Il m'explique: «Je retourne après sept ans. Je sais que les choses se dégradent. Ça va être un choc pour ma fille. Elle a 14 ans. Sa mère est américaine. Elle a grandi à Toronto. C'est son premier voyage au Congo. Elle va avoir un choc.»

«Ah, le Congo! C'est terrible. Il a tout pour être riche, développé, puissant. Mais il tire le diable par la queue. Il est à la merci des autres, des profiteurs, des pilleurs et des marchands de guerre. Je ne sais pas comment ma fille va prendre ça!»

Sur ce, des préposés d'Air France nous demandent de descendre et de regagner la salle d'attente. «L'avion n'est pas prêt pour l'embarquement», explique une dame.

Grognements parmi les passagers, qui s'exécutent bon gré, mal gré. «Air France nous fait toujours ce coup-là», lance quelqu'un, moustache, longs favoris, cheveux coupés en brosse. «Vous n'avez aucun respect pour le Congo», fait-il à l'adresse de l'employée, qui dit: «Mais c'est la faute des préposés à l'entretien, des contractuels.»

Dans une passerelle

Ses collègues à l'autre bout nous bloquent l'entrée de la salle d'attente. On est plus de 200, cantonnés dans la longue passerelle de verre, froide et humide. «Un autre autocar viendra vous prendre», dit la dame.

Rentrant d'une tournée européenne, des jeunes Congolais du groupe Werrason meublent l'attente avec un joli petit concert improvisé de voix et guitares.

Le bus arrive enfin. Il démarre en trombe, fonce, serpente, et nous dépose devant un Airbus stationné loin, très loin de l'aérogare. L'appareil se remplit vite. Les passagers qui ne sont pas congolais sont des coopérants européens, des diplomates de l'ONU, des techniciens chinois ou des négociants indiens. Pas un seul touriste.

Voilà la clientèle qu'attire aujourd'hui la République démocratique du Congo (RDC), pays d'Afrique centrale grand comme toute l'Europe de l'Ouest, avec 60 millions d'habitants, des minerais fabuleux, un potentiel hydraulique et agricole capable d'électrifier et de nourrir l'Afrique entière, et une cuisine aussi riche que sa musique.

Le grand tourisme n'est pas pour le Congo, pays en guerre depuis 13 ans, après avoir pâti 30 ans sous la dictature du maréchal Mobutu. À Dorval, j'ai feuilleté dans une librairie le dernier guide Lonely Planet sur l'Afrique. Une brique de 1200 pages...dont 10 seulement sur la RDC. «Une histoire tragique», commence le texte.

Marliese, ma voisine du vol, est institutrice en Suisse alémanique. Elle va enseigner dans une école primaire du Kasaï. «Plus à l'est, j'irais pas», dit-elle carrément, «à cause de ces guerres terribles et compliquées qui n'en finissent jamais».

Chaleur et tracasseries

Huit heures de vol et nous voilà plongeant dans la chaleur humide de l'aéroport de Ndjili. «Le climatiseur est brisé», s'excuse un policier en uniforme bleu aux étrangers qui enlèvent vestes et gilets en s'essuyant le front.

Une agente en robe jaune examine mon passeport, mon visa et mon carnet médical.

Elle me demande de la suivre dans un bureau, alors que des files s'alignent dans la grande salle surchauffée pour le contrôle de l'immigration.

La quotidienneté congolaise, faite de tracasseries en tous genres, se porte bien. «Vous n'avez pas suivi les conseils de votre médecin», dit une autre agente en robe jaune assise derrière une table en regardant mon carnet médical. «C'est écrit ici que votre vaccin contre la fièvre jaune est valide à partir du 19 janvier, c'est-à-dire pas avant six jours. Je dois vous infliger une petite amende... de 30$», dit-elle.

Rigobert, un Congolais de Montréal, s'est fait pincer lui aussi. «Les fonctionnaires connaissent bien les petits détails pour taxer le monde ordinaire. Ils font leur boulot, bien sûr. Et ils sont très mal payés. Le drame, c'est que les étrangers pillent le Congo à coup de milliards, et il n'y a personne pour les faire payer», dit-il.

Le comptoir de l'Office national du tourisme est vide, baignant dans l'obscurité. Mais dehors, une jeunesse kinoise s'éclate dans la nuit torride. Ce carnaval survolté, c'est le cadeau des fans à leurs idoles de Werrason. La fuite des touristes, et la guerre à l'est, n'empêchent pas les Congolais de fêter entre eux.

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