C'est le monde à l'envers: la France condamne le putsch en Guinée-Conakry, alors que le régime déchu, ses opposants de tous poils et les voisins immédiats de ce pays d'Afrique de l'Ouest volent au secours de la nouvelle junte.

Sous de Gaulle, la France n'avait pas digéré le «non» guinéen au référendum de 1958 sur la «communauté» franco-africaine. Au point où les colons français sont partis avec armes et bagages - et jusqu'aux ampoules des bureaux officiels.

 

Paris y réclame désormais «des élections démocratiques au 1er semestre de 2009». Au moins, la France n'évoque pas encore l'«intervention humanitaire», qui revient à la mode contre des «États défaillants» bien ciblés.

Les États-Unis, eux, exigent un «retour immédiat à l'ordre civil» et «rejettent le communiqué des militaires promettant des élections en décembre 2010», a fait savoir leur ambassade à Conakry.

Intéressants soutiens

La ruée de soutiens de la part des Guinéens eux-mêmes et de leurs voisins aux nouveaux chefs putschistes du pays est encore plus intéressante.

Le coup d'État du capitaine Moussa Dadis Camara ressemble à un «putsch posthume» opéré par le défunt président Lansana Conté lui-même. C'est par un putsch que Conté avait pris le pouvoir en 1984, et c'est par la force de l'armée qu'il l'a conservé jusqu'à sa mort, cette semaine.

Conté avait bien servi Sékou Touré, premier président de la Guinée indépendante, mais il le dénonça vertement après avoir ravi sa succession. Camara, lui, a bien servi Conté, même s'il s'est mutiné l'an dernier pour de meilleures soldes, à la faveur d'une insurrection populaire.

Mais son «second», le général Ba Toto Camara, vice-président du «Comité national pour le développement et la démocratie» (CNDD, nom de la nouvelle junte), a invoqué hier devant la foule rassemblée aux funérailles de Conté l'aide de «Dieu pour continuer son oeuvre pour le bonheur de la Guinée».

Abdoulaye Wade, président du Sénégal, a appelé hier à Paris à soutenir la nouvelle junte. Il a dit avoir obtenu de Dadis Camara l'assurance que le putsch avait pour but d'«éviter les règlements de comptes et les chasses aux sorcières, et de protéger la famille» de Lansana Conté.

»Les civils ont peur»

Wade a ajouté que «dans la situation actuelle, beaucoup de civils ont peur».

Cela explique peut-être pourquoi le premier ministre Ahmed Souaré, chef du gouvernement renversé, et la quasi-totalité de son cabinet, ont fait hier oeuvre d'allégeance à la junte.

Les alliances d'opposition jugent «trop long» le délai de deux ans que demande la junte pour organiser des élections, mais elles aussi, de même que les grands syndicats et principaux groupes de la société civile, ont rendu hommage à Conté.

La junte a convié les représentants de la société civile, des partis politiques et le corps diplomatique à une rencontre aujourd'hui à Conakry. Y sont aussi invités l'ONU, le FMI, la Banque mondiale et les bailleurs de fonds de la Guinée, pays de 10 millions d'habitants riche en bauxite, en or, en diamant et en pétrole.

Une cérémonie «officielle» au Palais du peuple a rassemblé entre-temps, à Conakry, des présidents voisins: Laurent Gbagbo (Côte d'Ivoire), Joao Vieira (Guinée-Bissau), Ellen Johnson Sirleaf (Liberia) et Ernest Bai Koroma (Sierra Leone), ainsi que Jean Ping, de l'Union africaine, et Ibn Chambas, de la Cedeao.