Situé à une quarantaine de kilomètres au nord d'El Fasher, le village de Donki Shatta a été épargné par les attaques. Ses habitants sont des « Africains noirs » de la tribu des Fours. Nous discutons avec les omdas - dirigeants locaux - près d'un haraz où l'on débite une chèvre pour la fête.

Soudainement, un énorme nuage de poussière se soulève à l'horizon. Des chameaux ! Des centaines de chameaux !

Quelques minutes plus tard, un groupe d'éleveurs nomades aux traits arabes fait son entrée dans le village. Les chefs discutent pacifiquement, alors que les bêtes s'abreuvent et se nourrissent. La scène étonne, car elle ne correspond pas au portrait souvent tracé par les médias depuis le début de la crise, en 2003, soit celui d'un « génocide » des « Africains noirs » par les « Arabes ».

Si le conflit aboutit à des massacres massifs touchant cruellement les populations sédentarisées, il est faux de prétendre que l'opposition se fait uniquement sur des bases ethniques ou « raciales » et que cette division est la source du conflit.

Au Darfour, les populations sédentaires et nomades sont toutes noires et arabisées. La région est un puzzle de groupes ethniques qui se côtoient depuis des lunes et qui, avec le temps, se sont mélangés.

La crise actuelle est complexe. Les violences ont d'abord une origine locale et sont liées aux confrontations traditionnelles entre les groupes de bergers nomades (majoritairement arabes) et les paysans sédentaires (majoritairement africains noirs). Sur cette terre aride, la lutte pour l'accès aux ressources (eau, pâturages et espace) a toujours été une source de tension.

Avant les années 70, les conflits étaient assez peu fréquents et se réglaient par le truchement de conseils tribaux. Mais, par la suite, une série de facteurs ont contribué à faire augmenter la fréquence et la violence des hostilités, menant à la situation actuelle.

D'abord, le Darfour a connu un spectaculaire boom démographique - sa population est passée de 3 à 6 millions d'habitants en seulement 20 ans. Les ressources, déjà limitées, se sont faites encore plus rares. La région est en proie à un processus général de désertification, qui va en s'amplifiant. Les conditions climatiques - le réchauffement planétaire - sont mises en cause, mais de mauvaises politiques d'équipement, de développement et de diversification économique ont contribué aussi à aggraver la situation. Au milieu des années 80, ç'a été la famine.

Pendant cette période, le gouvernement soudanais a aboli les pouvoirs tribaux pour instaurer une autonomie régionale dépourvue de moyens. Déjà aux prises avec une rébellion dans le sud du Soudan, ce dernier a préféré armer des milices arabes pour policer la région, accentuant ainsi le clivage Arabes contre non-Arabes.

Des groupes rebelles formés de Darfouris issus des tribus non arabes se sont créés pour s'opposer aux milices contrôlées par le gouvernement. Les deux groupes les plus importants sont le SLA (Sudan Liberation Army) et le JEM (Justice and Equality Movement). Aujourd'hui, ces groupes se sont fractionnés et leur nombre est difficile à estimer.

Depuis 2003, les conflits tribaux se sont transformés en une guerre civile meurtrière. La crise du Darfour, née d'une lutte pour l'accès aux ressources, est aujourd'hui perçue par certains observateurs comme un conflit ethnique.

Selon plusieurs analystes, en particulier aux États-Unis, il ne fait aucun doute que le gouvernement de Khartoum arme les milices janjawids et qu'il est le seul responsable. D'autres spécialistes présentent les événements au Darfour non pas comme un génocide, mais comme une guerre civile dont souffre la population. Dans cette optique, l'attitude des autorités de Khartoum et des rebelles peut être comparée.