Pendant quatre ans, des volontaires guinéens ont combattu les rebelles libériens. L'armée a promis de les recruter. Mais à la fin de la guerre, elle leur a tourné le dos. Aujourd'hui, les ex-volontaires sont en colère. Histoire d'une trahison.

Gabriel Tonguina est grand, bien bâti. Une armoire à glace. Cheveux ras, nez épaté, fine moustache.

 

Il en a lourd sur le coeur. En 2000, il a abandonné l'école pour s'enrôler comme volontaire. Il avait 16 ans. Pendant quatre ans, il a écumé la forêt, arme à la main, avec une centaine d'hommes. Il a risqué sa vie en combattant les rebelles libériens qui traversaient la frontière pour piller les villages guinéens.

«On tombait dans des embuscades, on se battait. Parfois, on passait une semaine sans manger, raconte Gabriel. J'ai risqué ma vie pour mon pays et aujourd'hui, je n'ai rien, je crève de faim.»

En 1989, le Liberia s'est embrasé. Des factions rebelles se sont battues, jetant le pays dans une sanglante guerre civile. Le Liberia et la Guinée ont une frontière commune. Des jeunes Libériens ont profité de la guerre pour piller les villages guinéens collés sur la frontière.

«Ils tuaient nos parents, nos amis», dit Gabriel.

Les jeunes ont ramassé des cailloux, des bouts de bois et leurs machettes et ils ont attaqué les pillards.

«Au bout d'un mois, on a demandé à l'armée de nous donner une formation, explique Gabriel. Ils ont accepté.»

Pendant six mois, Gabriel a appris le maniement des armes avec 300 volontaires. Ils se sont battus pendant quatre ans sans être payés. En échange, l'armée leur a promis de les recruter à la fin de la guerre.

«Quand ça chauffait, c'est pas l'armée qui allait au front, mais nous, les volontaires», raconte Sayon Samoura, ancien compagnon d'armes de Gabriel.

Coupeurs de route

Je les ai rencontrés dans le petit village de Daro, à quelques kilomètres de la frontière du Liberia, leur ancien territoire de lutte. Ils étaient une dizaine, rassemblés par Gabriel. Ils ont gardé leur vocabulaire militaire. Lorsque Gabriel est arrivé, il a demandé à Sayon: «Où est le bataillon?»

«Ils s'en viennent», a répondu Sayon avec un salut militaire.

Ils sont arrivés un à un, maigres, les traits tirés. Désillusionnés. Et en colère contre l'armée qui n'a pas tenu sa promesse.

Lorsque les militaires sont venus recruter des soldats dans la région, ils ont choisi des membres de leur famille et des hommes qui avaient assez d'argent pour leur glisser un pot-de-vin.

«Ils ne voulaient rien savoir de nous, les pauvres. Ils nous ont abandonnés, chassés, crache Sayon. Pourtant on s'est sacrifiés pour défendre le territoire.»

«En 2004, l'armée nous a dit: ''c'est fini, donnez-nous vos armes et retournez chez vous''«, dit Gabriel.

Certains sont devenus coupeurs de route. Ils arrêtent les autos et dévalisent les passagers. Parfois, ils les tuent. Le dernier incident a eu lieu en mai, à une trentaine de kilomètres de Daro. Des coupeurs ont attaqué un taxi brousse. Personne n'a été tué.

Gabriel et ses hommes protestent. «Nous n'avons jamais été coupeurs de route!»

En 2004, Gabriel a créé une association d'anciens volontaires. En 2007, l'ONU leur a payé une formation de quatre mois à l'École nationale de l'agriculture, puis elle leur a donné 15 agoutis, des rats d'élevage que les gens mangent.

Mais les agoutis sont morts au bout de quelques mois.

 

Un repas par jourEn désespoir de cause, Gabriel et ses hommes ont établi leur campement dans une ancienne usine de thé laissée à l'abandon depuis 20 ans à quelques kilomètres de Daro. Ils surveillent les bâtiments décrépits, empêchant les pilleurs de voler la machinerie.

Avant, c'était l'armée qui faisait ce boulot. Les ex-volontaires se relaient. Des équipes de cinq, sept jours sur sept. La discipline militaire. Mais personne ne les paie. Ils font pousser du manioc sur les terres qui, jadis, étaient recouvertes de thé.

Ils mangent un repas par jour. Du manioc. En bouillie, en soupe, écrasé ou en morceaux. Que du manioc. Parfois un peu de riz. Ils n'ont rien d'autre à se mettre sous la dent, sauf leur amertume et leur colère.

«Si on décide que Macenta (le plus gros village de la région) ne dormira pas un soir, il ne dormira pas, dit Gabriel avec une pointe de menace dans la voix.

- Mais vous n'avez plus d'arme?

- On a des cailloux, des bouts de bois et nos coupe-coupe (machettes).»

Gabriel et ses hommes connaissent le maniement des armes et le fonctionnement de l'armée par coeur. Ils sont comme des bombes à retardement. Laissés à eux-mêmes, frustrés, en colère. Mais surtout, ils ont faim. Trop faim.