Barack Obama devait prononcer jeudi soir son discours d'acceptation de l'investiture démocrate, 45 ans jour pour jour après le célèbre «I Have a Dream» de Martin Luther King, vibrant plaidoyer pour l'égalité entre Noirs et Blancs. Aujourd'hui encore, l'Amérique reste confrontée à la question du racisme, malgré des progrès dont témoigne la candidature de M. Obama.

King évoquait une société où les Noirs ne seraient plus victimes de discriminations et vivraient harmonieusement avec les Blancs. Il parlait d'une Amérique où les citoyens ne seraient pas jugés sur la couleur de leur peau. «Je fais le rêve qu'un jour cette nation se lève et vive la véritable signification de son credo: 'nous tenons ces vérités pour évidentes, que tous les hommes ont été créés égaux'», avait lancé le leader de la lutte pour les droits civiques sur les marches du Lincoln Memorial à Washington, le 28 août 1963, lors de son mémorable discours.

À l'époque de King, la ségrégation était légale: les parcs, toilettes, hôtels, cinémas, écoles et fontaines à eau réservés aux Blancs étaient monnaie courante. Les relations sexuelles «interraciales» étaient interdites par des textes de loi et les lynchages de Noirs étaient fréquents.

Les choses ont commencé à changer dans les années 60 avec l'adoption du Civil Rights Act, déclarant illégale la discrimination, et d'autres lois sur le droit de vote et le logement. En 1967, la Cour suprême interdit une loi en Virginie proscrivant les mariages entre Blancs et Noirs.

Aujourd'hui, la candidature d'Obama, fils d'un père noir kenyan et d'une mère blanche du Kansas, et premier Noir investi par un des deux grands partis américains pour briguer la Maison Blanche, montre le chemin parcouru.

Mais 45 ans après le discours de King, des questions demeurent sur la persistance du racisme dans la société américaine. Si le pays est vraiment entré dans une ère «post-raciale», alors pourquoi quelques injures raciales du commentateur radio Don Imus ou les sermons enflammés de l'ancien pasteur noir d'Obama, Jeremiah Wright, provoquent-ils un tel émoi, se demandent certains.

«Tout a changé et rien n'a changé», résume le révérend Joseph Lowery, 86 ans, qui a participé à la lutte pour les droits civiques au côté de King. «C'est le paradoxe dans lequel nous nous trouvons.»

La plupart des Américains estiment que le racisme demeure un problème, mais ne se considèrent pas eux-mêmes comme racistes. Reste que les Noirs se disent souvent victimes de discriminations à l'emploi et au logement, selon un sondage du Centre Pew.

Au niveau politique, les Afro-Américains, qui représentent 13% de la population, sont plus nombreux à occuper des fonctions électives. A la Chambre des représentants du Congrès (435 sièges), ils étaient neuf en 1969, contre 43 aujourd'hui. Dans les années 60, on comptait aussi seulement 300 élus noirs locaux, contre 10.000 aujourd'hui, dont 300 maires. La participation des Noirs aux élections a en outre gagné du terrain.

Mais la politique américaine joue également sur les divisions raciales. Depuis les années 60, le système bipartite américain a donné lieu à une ségrégation de facto, les Noirs votant essentiellement pour le camp démocrate. Pas un seul candidat démocrate n'a remporté la majorité du vote blanc depuis 1964, année où les républicains ont mis en place leur «stratégie sudiste», exploitant des questions raciales comme la discrimination positive pour polariser l'électorat.

En 2006, Harold Ford, un démocrate noir du Tennessee, s'est présenté aux élections sénatoriales. Il a fait l'objet d'attaques à caractère raciales dans des spots de campagne, et son adversaire républicain, un Blanc, l'a emporté d'une courte tête.

Si les Noirs arrivent à gagner des circonscriptions où leur communauté est fortement implantée, «il est très inhabituel qu'un candidat noir qui se présente à un poste à l'échelon d'un des Etats du pays soit nommé ou élu», observe Chandler Davidson, professeur à l'université Rice. «Cette polarisation raciale est toujours là.»

Aujourd'hui encore, le revenu moyen des Noirs atteint seulement 61% de celui des Blancs, et les Afro-Américains ont presque deux fois plus de risques d'être au chômage et de ne pas avoir d'assurance-santé, selon les statistiques officielles.

Environ 25% vivent sous le seuil de pauvreté, un chiffre qui s'établit à «seulement» 9,3% pour les Blancs. Le taux de pauvreté des enfants noirs, bien qu'en baisse depuis 1963, reste deux fois et demi plus élevé que pour les Blancs.