(Moscou) La Russie a affirmé mardi avoir « écrasé » avec son aviation et son artillerie le groupe ayant attaqué la veille depuis l’Ukraine la région frontalière de Belgorod, dans la plus spectaculaire incursion en territoire russe depuis le début du conflit.

Lundi, des combattants entrés en Russie depuis l’Ukraine ont attaqué plusieurs localités de la région de Belgorod, qui a également essuyé des tirs d’artillerie et des attaques de drones qui ont poussé les habitants à fuir.

Le Kremlin a exprimé sa « profonde préoccupation » et appelé à faire « plus d’efforts » pour empêcher ces incursions, en pleine multiplication d’attaques sur le sol russe ces derniers mois, qui ont soulevé des questions sur la solidité des défenses.

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Le ministère russe de la Défense a assuré mardi avoir repoussé cette incursion après une opération qui a notamment mobilisé l’aviation et l’artillerie.

« Les formations nationalistes ont été bloquées et écrasées », a dit le ministère russe dans un communiqué, désignant ainsi les combattants venus d’Ukraine.

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« Le reste des nationalistes ont été repoussés sur le territoire de l’Ukraine, où les frappes […] se sont poursuivies jusqu’à leur élimination totale », a encore indiqué le ministère, affirmant avoir tué « plus de 70 terroristes ukrainiens ».

Ces déclarations étaient invérifiables de source indépendante dans l’immédiat.

« Légion » russe

En réponse à l’incursion, la Russie a décrété lundi un régime « antiterroriste » dans toute la région de Belgorod, qui a été levé mardi en fin d’après-midi. Cette mesure accordait des pouvoirs étendus aux forces de l’ordre.

Neuf localités ont par ailleurs été évacuées, a indiqué le gouverneur. Selon les autorités, 13 personnes ont été blessées « à la suite des actions criminelles » des combattants et des bombardements ukrainiens.

Un civil a aussi été tué dans le village de Kozinka, l’une des localités attaquées, et une femme est morte d’une insuffisance cardiaque lors de son évacuation.

La Russie a accusé Kyiv d’être derrière cette attaque, mais les autorités ukrainiennes nient toute implication.

« Nous ne livrons pas de guerre sur des territoires étrangers », a ainsi assuré mardi la vice-ministre ukrainienne de la Défense, Ganna Maliar, y voyant une « crise interne russe ».

Des Russes interrogés à Moscou par l’AFP mardi ont fait part de leur crainte de nouvelles attaques.

« Ce n’est pas seulement Belgorod, mais tous les territoires frontaliers. L’ensemble de la nation russe est inquiète à l’idée que [les bombardements] puissent se produire plus loin, à Moscou », a affirmé Alexandre, un ingénieur de 42 ans qui a préféré taire son nom.

« Les habitants de Belgorod devraient réfléchir, ne pas rester allongés sur leur canapé, mais se gratter la tête et se demander si tout va bien au sein de l’État russe », a fustigé Sergueï Roussakov, ingénieur industriel à la retraite de 70 ans.

Les Ukrainiens interrogés à Kyiv étaient davantage préoccupés par les combats dans leur propre pays.

« Nos militaires doivent reprendre ce que les Russes ont pris – les villes d’Ukraine. Nous n’avons pas besoin de la Russie », a lancé Olga, 26 ans, employée dans une garderie.

« Nous voulons une victoire plus rapide et un plus grand succès à Bakhmout, la libération de Marioupol, la libération de la Crimée », a abondé Oleksandre, un retraité.

L’attaque à Belgorod a été revendiquée sur Telegram par la « légion Liberté pour la Russie », un groupe de Russes combattant du côté ukrainien, qui avait déjà assuré être à l’origine d’incursions précédentes dans la même région.

Un autre groupe similaire participerait à l’opération, le « Corps des volontaires russes ».

Poutine silencieux

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a estimé que cette nouvelle incursion signifie qu’il faut « plus d’efforts » pour assurer la sécurité de la Russie. « Ces efforts continuent d’être fournis et l’opération militaire spéciale [en Ukraine] se poursuit pour que cela n’arrive plus », a-t-il ajouté.

Le gouverneur de Belgorod, Viatcheslav Gladkov, a déclaré que plusieurs localités, dont Graïvoron, chef-lieu du district du même nom, avaient été soumises à de « nombreux » bombardements, au moyen de pièces d’artillerie, de lance-roquettes multiples et de drones.

Alors que se profile une vaste contre-offensive ukrainienne, le territoire russe a été au cours des derniers mois et semaines la cible d’un nombre croissant de sabotages, d’attentats et d’attaques de drones imputés à Kyiv, mais jamais revendiqués par l’Ukraine.

Le président russe, Vladimir Poutine, ne s’est pas exprimé au sujet de l’incursion, se bornant, lors d’une cérémonie de remise de décorations au Kremlin mardi, à parler de manière générale du conflit.

« Oui, la Russie fait face à des temps difficiles, mais ce jour est un moment particulier pour notre consolidation » nationale, a-t-il dit. Lundi, son porte-parole avait indiqué qu’il avait été informé de l’incursion dans la région de Belgorod.

Ce que l’on sait des deux groupes qui ont revendiqué l’incursion armée

Deux groupes armés se disant russes ont revendiqué l’attaque lundi depuis l’Ukraine sur la région russe de Belgorod, la plus grave incursion depuis le début de la guerre.

Voici ce que l’on sait, à ce stade, de ces organisations, le Corps des volontaires russes et la Légion « Liberté de la Russie » qui ont dit avoir agi de concert.

Les figures publiques

Le Corps des volontaires russes (RDK) est sorti du bois en mars, revendiquant une première incursion en Russie dans la région frontalière de Briansk.

Il est dirigé par Denis Nikitine (Kapoustine, de son vrai nom), figure connue du milieu hooligan et d’extrême droite en Russie. Il organisait en Ukraine des combats de MMA et avait une marque de vêtement. La Russie l’a qualifié de « terroriste ».

Créée au printemps 2022, la Légion « Liberté de la Russie », dont l’emblème est un poing fermé, est classée « terroriste » par la Russie.

Son chef politique est l’ancien député russe Ilia Ponomariov, le seul à avoir voté contre l’annexion de la Crimée par Moscou en 2014 et qui s’est ensuite installé en Ukraine.

La couverture par les médias ukrainiens de l’incursion de Belgorod a mis en avant un représentant de la Légion répondant au pseudonyme de « Caesar ».

L’AFP l’avait rencontré en décembre 2022 sur le front est de l’Ukraine, affirmant dans un entretien se battre « contre le régime de (Vladimir) Poutine » et se définissant comme un patriote russe et un « nationaliste de droite ».

Il assure être un kinésithérapeute originaire de Saint-Pétersbourg. Le média d’investigation russe Agentstvo l’a identifié comme un membre actif de longue date de la nébuleuse impérialiste et nationaliste de l’extrême droite russe.

Missions

Les deux groupes, qui disent avoir des centaines d’hommes, affirment vouloir la chute du président Poutine. Le RDK dit mener des actions de reconnaissance et de sabotage en territoire russe.

Un de ses combattants, répondant au pseudonyme de Fortune, avait indiqué à l’AFP en mars que le Corps coordonnait son action avec l’armée ukrainienne lorsqu’il était en territoire ukrainien, mais qu’il menait seul ses opérations en Russie.

Dans un entretien au média russe indépendant Sota en avril, un représentant du RDK, Vladimir « Cardinal » disait vouloir la création « d’un État national russe sur le territoire de régions majoritairement peuplées de Russes ethniques ».

La Légion se définit comme un groupe de « partisans » dont le but est de construire « une nouvelle Russie libre ».

Son site indique que le groupe orchestre des attaques contre l’infrastructure militaire et ferroviaire russe.

« Caesar » a indiqué à la télévision ukrainienne après l’attaque à Belgorod que l’ampleur des opérations menées par les deux organisations « allait augmenter avec le temps ».

Équipement

Aucun des deux groupes ne dit comment et par qui ils sont financés, et l’Ukraine n’a rien dit de ses liens avec ces groupes, les qualifiant de problème « interne » à la Russie.

Mais M. Ponomariov a déclaré à la radio britannique LBC cette semaine que les Ukrainiens « nous aident pour former nos forces et nous fournissent l’équipement nécessaire ».

La Légion a indiqué sur Twitter disposer de mortiers français RT61.

Lors de l’attaque dans la région de Belgorod, les autorités russes ont indiqué avoir fait face notamment à des tirs de mortiers, d’artillerie et des attaques de drones.

Le Corps a lui diffusé des vidéos à bord d’un transport de troupes blindés qu’il disait avoir pris au service de sécurité russe, le FSB qui chapeaute également les gardes-frontières.

Réactions russes

Le Kremlin a martelé lundi et mardi faire face à des combattants ukrainiens et non à des insurgés russes, accusant Kyiv d’avoir planifié l’opération pour « détourner l’attention » de Bakhmout, épicentre des combats dans l’est de l’Ukraine que la Russie affirme depuis samedi avoir conquise.

Après l’attaque de Belgorod, le chef du groupe paramilitaire russe Wagner, Evguéni Prigojine, pas avare de critiques envers l’armée, a dénoncé un échec de l’État russe.

« Il n’y a pas de gouvernance, pas de volonté et pas d’individus prêts à défendre leur pays », a-t-il lâché, fustigeant ceux qui « font les idiots » et « siphonnent de l’argent » au lieu « d’assurer la sécurité de l’État ».

« Un succès militaire retentissant ! », a raillé l’ancien responsable séparatiste Igor Strelkov. « Mes félicitations à l’état-major », a-t-il encore tancé sur Telegram.

La chaîne Telegram Rybar, qui commente les évènements liés au conflit, suivie par près de 1,1 million d’abonnés, a elle estimé que Kyiv voulait « semer la panique » en Russie.