Les Iraniennes et les Afghanes font partie de la longue liste de citoyennes du monde dont les droits les plus élémentaires sont bafoués. En ce 8 mars, courts portraits de trois résistantes.

« Nous existons, nous sommes là »

« On nous efface. »

C’est ainsi que Mahbooba Seraj résume la situation en Afghanistan.

Bien que nièce d’un roi, Mahbooba Seraj n’a pas eu une vie dorée. Journaliste et militante des droits des femmes, elle a été, avec son mari, emprisonnée par le Parti communiste d’Afghanistan en 1978. Bannie du pays, elle a vécu en exil pendant 26 ans aux États-Unis avant de rentrer dans son pays natal en 2003. Elle reprend alors le combat contre la corruption et pour les droits des femmes et des enfants, notamment en ondes, à la barre d’une émission de radio qu’elle anime.

Le 15 août 2021, quand les talibans reprennent le pouvoir, elle ne bronche pas.

« Une fois dans ma vie, en 1978, j’ai été forcée de quitter mon pays », raconte-t-elle dans un témoignage relayé par l’ONU.

J’ai 74 ans. J’ai décidé de ne pas devenir une réfugiée une nouvelle fois. J’ai vu la beauté et les catastrophes, les réalisations et la destruction. […] Comme tout le reste de l’Histoire, cela aussi passera.

Mahbooba Seraj

Mais la route sera très longue, car en 2021, en 24 petites heures, 20 ans de progrès en Afghanistan ont été réduits en poussière. « Les femmes de l’Afghanistan, qui faisaient partie intégrante de la société, qui travaillaient comme médecins, juges, infirmières, ingénieures, etc., ont vu leur existence être niée. Tout ce dont elles bénéficiaient, même le droit le plus élémentaire d’aller à l’école secondaire, leur a été enlevé. […] Nos frères ne nous aident pas ; nous sommes laissées seules et nous sommes en train de disparaître.

« Les femmes afghanes comptent parmi les femmes les plus ingénieuses et les plus fortes au monde. Leur résilience est inébranlable. Mais beaucoup de travail a été fait, et à chaque fois, nous devons recommencer à zéro, et c’est ce qui nous tue absolument. »

Retrait des troupes

En mai 2021, le président Joe Biden annonce le retrait des troupes américaines de l’Afghanistan, avant de le reporter de quelques mois. En août, les talibans reprennent le contrôle du pays. Une crise humanitaire s’ensuit, et les femmes, les filles et les minorités ethniques et religieuses sont tout particulièrement prises pour cibles.

Mère et fille au combat

PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK

Yasaman Aryani

Avec sa mère Monireh Arabshahi, Yasaman Aryani militait depuis quelque temps déjà pour le droit de ne pas porter le voile. En août 2018, avec d’autres militants, elle est arrêtée une première fois, lors d’une manifestation à Téhéran. Accusée de perturber l’ordre public, elle passe alors un an dans la sinistre prison d’Evin.

Elle sera libérée en février 2019. Une libération-spectacle d’un gouvernement iranien soucieux de redorer son image auprès de la communauté internationale, avancera-t-elle sur les réseaux sociaux.

Peu de temps après sa libération, toujours sur les réseaux sociaux, elle lancera, cheveux au vent et tout sourire : « La pluie est si belle, pourquoi devrais-je porter un hijab ? »

Le 8 mars 2019, Yasaman Aryani entreprend de distribuer des fleurs blanches à des Iraniennes dans le métro de Téhéran, sans voile. Une vidéo enregistrée à cette occasion, en une vidéo qui a fait le tour du monde.

Le 10 avril, les forces de l’ordre investissent son appartement, lui confisquent téléphone et ordinateur. En interrogatoire, ils tentent de lui arracher des aveux.

Quand sa mère se rend au centre de détention Vozara pour avoir des nouvelles de sa fille, elle est incarcérée à son tour.

IMAGE TIRÉE D’UNE VIDÉO SUR YOUTUBE

Monireh Arabshahi, mère de Yasaman Aryani

Pétition mondiale, manifestation devant l’ambassade d’Iran à Paris, lettres de soutien : Amnistie internationale bataille pour obtenir leur libération qui, contre toute attente, survient le 16 février, quelques jours après que l’ayatollah Ali Khamenei (en poste depuis 33 ans et 9 mois) eut annoncé l’amnistie « de dizaines de milliers de manifestants ».

Leurs premières paroles relayées par Twitter : « Femme, vie, liberté ! », cri de ralliement de tous les opposants au régime iranien.

Comme ç’a été le cas le 11 février, date anniversaire de la révolution islamique iranienne, il était déjà arrivé que le régime iranien gracie des prisonniers lors de dates symboliques ou de fêtes religieuses, mais les organismes de défense des droits de la personne croient que seuls quelques-uns s’en sont sortis.

Vague d’indignation

Le 13 septembre, Mahsa Amini, une étudiante de 22 ans, a été arrêtée à Téhéran pour « port de vêtements inappropriés » par la police des mœurs, une unité chargée de faire respecter le code vestimentaire strict de la République islamique d’Iran pour les femmes.

Sa mort, survenue trois jours après son arrestation, déclenchera l’indignation dans tout le pays. Des milliers de femmes et d’hommes participent depuis lors à des manifestations et à des grèves.

Ne jamais renoncer à sa passion

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE MOHADESE MIRZAEE

Mohadese Mirzaee

« Tout est arrivé si vite », résume l’Afghane Mohadese Mirzaee au quotidien britannique The Guardian.

En février 2021, à tout juste 23 ans, elle marquait les esprits en Afghanistan en devenant la première femme pilote de ligne, entourée d’un équipage entièrement féminin.

Quand les talibans s’emparent de Kaboul, en août 2021, Mohadese Mirzaee est déjà à l’aéroport, en uniforme, prête à décoller pour son vol vers Istanbul.

« L’avion n’a jamais décollé, écrit The Guardian. Mohadese Mirzaee réussit à prendre un vol vers Kyiv, dans cette Ukraine alors en paix. En tant que passagère, cette fois.

Quand je suis partie de chez moi le matin et que j’ai salué ma famille, je n’aurais jamais pu imaginer que quelques heures plus tard, je serais partie de la maison pour toujours.

Mohadese Mirzaee

Dans une vidéo présentée par Radio Free Europe, elle raconte avoir été très consciente d’être tout particulièrement une cible des talibans du fait de son statut de pionnière. « C’est la raison pour laquelle je suis partie. »

« Les talibans veulent faire taire les femmes. Si je renonçais à ma passion, ils auraient atteint leur but », dit-elle.

Mohadese Mirzaee reconstruit sa vie en Europe. Elle reste discrète sur son quotidien d’exilée, toujours déterminée à reprendre sa carrière de pilote.

En savoir plus
  • 2,5 millions  
    Nombre de jeunes filles afghanes d’âge scolaire présentement privées d’école en Afghanistan
    ONU
    Au moins 326
    Nombre de manifestants tués dans la répression du mouvement de contestation en Iran
    Iran Human Rights (IHR), une ONG établie à Oslo