Elles ont fui l’Afghanistan après l’arrivée des talibans et ont trouvé temporairement refuge en Grèce, avec l’espoir de commencer une nouvelle vie au Canada. Mais en attente depuis plus d’un an, deux Afghanes lancent un cri du cœur à Ottawa. Des cas qui seraient loin d’être isolés.

(Athènes, Grèce) « Je souffre tellement », dit au bord des larmes Hasina Haidari. Cette Afghane a dû fuir en catastrophe son pays avec son mari et ses deux enfants, de 7 ans et 5 ans, peu de temps après l’arrivée au pouvoir des talibans en août 2021.

« Nos vies étaient en danger à cause de mon travail », explique celle qui était juge dans son pays d’origine, et qui a déjà condamné des talibans. Ces derniers ont rapidement imposé leur doctrine, ciblant particulièrement les femmes politiques, juges et procureures, journalistes, ou encore militantes.

Avec le soutien d’organisations internationales, 200 Afghans, dont la famille Haidari, ont pu quitter le pays à la fin d’octobre 2021 vers Athènes. La Grèce a offert un accueil temporaire à des centaines d’Afghanes en position d’autorité et à leur famille, le temps qu’elles trouvent refuge dans un autre pays, comme le Canada. Ce qui devait être un simple passage s’est transformé en une attente interminable.

Pourquoi cela nous arrive-t-il à nous ? Nous avons perdu notre pays, notre travail, et nous sommes ici en Grèce avec rien.

Hasina Haidari

Voilà plus d’un an que sa famille et elle disent avoir envoyé une demande de réinstallation aux autorités canadiennes, dans l’espoir de rejoindre des proches vivant au Canada. Ils soutiennent avoir déjà passé des visites médicales, fourni leurs empreintes digitales, mais être sans nouvelles depuis le mois d’avril.

Ottawa s’est engagé à accueillir 40 000 Afghans au pays dans la foulée de l’arrivée des talibans au pouvoir. Mais plus d’un an plus tard, seulement près de 26 000 ont pu arriver sur le sol canadien.

Hasina Haidari dit que la majorité des autres Afghans évacués en même temps que sa famille ont déjà pu rejoindre le Canada. Elle se demande pourquoi ce n’est pas son cas. Entre le traumatisme qu’elle garde de son départ précipité et cette attente insoutenable, elle dit ne plus pouvoir endurer la situation. « J’implore le Canada de rendre une décision finale. Il faut un processus plus facile et rapide. Nous vivons une situation extrêmement difficile. »

Un cas loin d’être isolé

Cette attente, Huma Ahmadi la vit aussi depuis plus d’un an. Députée au Parlement afghan, elle a dû elle aussi se résoudre à quitter son pays. Sa première tentative de départ a échoué, alors qu’un attentat suicide a eu lieu à l’aéroport de Kaboul le 26 août 2021, faisant près de 200 morts.

Par peur des talibans, elle est restée cachée chez elle pendant un mois, avant de pouvoir rejoindre la Grèce avec sa famille, au terme d’un long voyage par l’Iran, l’Irak et la Géorgie. Elle aussi est en attente d’une réponse du Canada, pour y rejoindre des proches et commencer une nouvelle vie.

Huma Ahmadi, son mari et ses deux filles disent avoir envoyé leur demande aux autorités canadiennes en novembre 2021, une demande qui est toujours en cours de traitement.

« Je suis anxieuse. Je m’inquiète pour l’avenir de mes filles. Elles ne vont pas à l’école à Athènes », explique-t-elle, en ne lâchant pas son cellulaire des mains, d’où elle vérifie régulièrement l’état de sa demande en ligne.

À cette attente s’ajoute aussi l’incompréhension. D’autres membres de sa famille, qui ont fui en même temps qu’elle, ont déjà pu accéder au Canada dans les derniers mois.

Nous sommes des gens honnêtes, nous n’avons rien fait de mal, nous méritons d’être acceptés. Cette situation ne devrait pas être comme ça, nous souffrons beaucoup.

Huma Ahmadi

Elle explique que le stress généré par cette attente se fait particulièrement sentir sur ses filles. Sa plus grande, âgée de 18 ans, a même perdu plus de 15 kilogrammes au cours des derniers mois. Huma Ahmadi demande, elle aussi, à Ottawa d’accélérer le traitement.

Un long processus

Ces deux Afghanes seraient loin d’être des cas isolés. L’organisme grec Melissa Network, qui a participé aux efforts d’évacuation d’Afghanes vers la Grèce, confirme que beaucoup sont toujours en attente d’une réponse, plus d’un an après leur arrivée.

« C’est un long processus. Toutes les Afghanes qui sont encore en Grèce attendent une réponse du Canada », les autres étant soit parties dans d’autres pays de l’Union européenne, soit déjà au Canada, explique Nadina Christopoulou, cofondatrice de l’organisme. Impossible de savoir exactement combien de femmes et de familles attendent toujours une réponse du Canada à partir de la Grèce, mais il y en aurait encore des dizaines.

« Elles sont frustrées, car elles ne peuvent pas aller de l’avant. Pour la plupart, leurs enfants ne vont pas à l’école. Il est difficile de trouver un travail. Où, comment et avec quelle langue peuvent-elles travailler ici ? », se demande-t-elle.

L’organisme demande lui aussi à Ottawa d’accélérer le processus de réinstallation.

Ces femmes sont pratiquement piégées ici. Plus vite elles arriveront à leur destination finale, mieux ce sera pour elles et leur pays d’accueil. Elles pourront alors commencer une nouvelle vie.

Nadina Christopoulou, cofondatrice de Melissa Network

Ottawa fait face à de nombreuses critiques depuis des mois concernant les efforts déployés pour réinstaller les Afghans au pays. Le gouvernement du Canada assure par courriel que tous les moyens sont mis en œuvre pour faciliter ces arrivées, mais que chaque demande est différente, ce qui peut donc « nécessiter des délais plus longs que d’autres ».

Ottawa affirme toujours être « déterminé à réinstaller au moins 40 000 Afghans au pays d’ici la fin de 2023 », mais n’a pas été en mesure de nous indiquer combien de dossiers d’Afghans en Grèce sont en cours de traitement, pour des raisons de sécurité.

En attendant, les jours se suivent et se ressemblent pour Hasina Haidari et Huma Ahmadi. Toutes deux essaient d’imaginer à quoi pourrait ressembler leur nouvelle vie au Canada. « J’espère pouvoir retourner aux études et devenir avocate », confie Hasina Haidari. Toutes deux rêvent de recouvrer une certaine liberté qui s’est envolée du jour au lendemain.