(Washington) La communauté internationale se doit de parler aux talibans au risque sinon de conséquences potentiellement dangereuses si les nouveaux dirigeants d’Afghanistan sont isolés, a estimé le chef de la diplomatie pakistanaise dans un entretien avec l’AFP.

Pour Bilawal Bhutto Zardari, qui se trouvait en visite à Washington, il faut se garder en outre d’une « gouvernance parallèle » après la décision des États-Unis de geler la moitié des avoirs afghans et de les placer dans un fonds en Suisse.

« L’Histoire nous apprend que lorsqu’on se lave les mains de quelque chose et qu’on tourne le dos, on finit par provoquer des conséquences inattendues et plus de problèmes pour nous-mêmes », a-t-il affirmé mardi dans cet entretien.

« Je pense que nos inquiétudes concernant un effondrement économique, un exode de réfugiés ou encore la menace de nouvelles recrues pour des groupes comme le groupe État islamique et d’autres, l’emportent sur nos préoccupations concernant leurs institutions financières », a-t-il encore dit.

Les talibans ont repris le pouvoir en août 2021 après 20 ans d’occupation du pays par les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN. Mais le pays de 38 millions d’habitants fait face à l’une des pires crises humanitaires sur la planète, selon les Nations unies.

Le régime des talibans, qui ont largement imposé depuis leur retour au pouvoir l’interprétation ultra-rigoriste de l’islam ayant caractérisé leur premier règne entre 1996 et 2001, avec en particulier d’importantes restrictions imposées aux femmes, n’a encore été reconnu par aucun pays.

Quant aux relations avec le Pakistan, dont l’appareil militaire et du renseignement a été longtemps suspecté de les avoir soutenus, elles se sont nettement dégradées.

Contrairement à d’anciens responsables pakistanais, le ministre, dont la mère est l’ancienne première ministre Benazir Bhutto a été assassinée en 2007, n’a pas eu de mots de sympathie pour les talibans.

Mais il a estimé qu’ils avaient besoin d’un peu « d’espace politique » s’agissant notamment des droits des femmes.

Puissances rivales

À 34 ans, M. Bhutto Zardari, qui est diplômé de la prestigieuse université d’Oxford, a pris ses fonctions il y a cinq mois dans un moment de crise politique au Pakistan.

Et le pays a été récemment frappé des plus graves inondations de son histoire dévastant de grandes parties du territoire et déplaçant des millions de personnes.

Lors d’une réunion lundi, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a indiqué que les États-Unis apporteraient un important soutien au Pakistan.

Dans un message moins bien accueilli par Islamabad, il a aussi appelé le Pakistan à demander un allègement de sa dette auprès de son proche partenaire, la Chine.

Interrogé à ce sujet, M. Bhutto Zardari a dit avoir eu « des discussions très constructives » avec la Chine tout en espérant que l’aide au Pakistan ne « devienne pas sujet de rivalités entre grandes puissances et des questions géostratégiques ».

Les gouvernements successifs à Islamabad ont rejeté les pressions américaines les appelant à s’exprimer concernant notamment la répression de la minorité musulmane des Ouïghours en Chine, que Washington qualifie de « génocide ».

« Je suis certain que les États-Unis souhaiteraient que nous réagissions un peu plus aux affaires internes de la Chine », a affirmé M. Bhutto Zardari.

« Mais il serait peut-être plus productif que nous commencions à parler de conflits reconnus comme ayant un caractère international par des institutions comme les Nations unies », a-t-il ajouté, dans une claire référence au Cachemire.

Cette région est divisée entre l’Inde et le Pakistan depuis leur indépendance de la Couronne britannique et la partition de 1947, et a été la cause de deux des trois guerres qui les ont opposés depuis.

Le ministre pakistanais a rappelé à ce propos que son pays avait dans les années 2010 tendu la main à l’Inde alors dirigée par le premier ministre Manmohan Singh.

« Nous étions prêts à prendre un risque politique […], mais seulement parce qu’en face il y avait un partenaire rationnel, raisonnable, capable potentiellement de nous donner le change », a-t-il affirmé. « Malheureusement, cet espace n’existe plus aujourd’hui. L’Inde est un pays très différent ».