Des organisations humanitaires d’envergure sont obligées de faire des choix « déchirants » dans plusieurs pays en crise faute de dons suffisants pour répondre aux besoins de la population alors que l’attention des pays occidentaux et de leurs dirigeants est mobilisée par la guerre en Ukraine.

La situation est particulièrement préoccupante en Afrique, selon le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC), qui place, pour la première fois, dix pays du continent en tête de sa liste annuelle des crises les plus négligées.

Tom Peyre-Costa, porte-parole de l’organisation pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale, a indiqué mardi en entrevue que les besoins dans la région ne cessaient de croître, sans que l’enveloppe financière consacrée par les pays riches à l’aide humanitaire ne suive la même courbe ascendante.

Lorsque survient un conflit comme celui en Ukraine, qui suscite un vaste mouvement de solidarité, « on assiste à une nouvelle répartition » des fonds disponibles plutôt qu’à leur augmentation, souligne-t-il.

PHOTO EDGAR SU, ARCHIVES REUTERS

Des résidants de Mykolaïv, en Ukraine, font la queue pour recevoir des biens distribués par la Croix-Rouge, le 10 juin.

Les Nations unies et plusieurs organisations partenaires ont lancé début mars, en réaction à l’invasion russe, un appel humanitaire d’urgence pour une somme de 1,7 milliard de dollars, qui a été comblé presque immédiatement.

La situation est tout autre en République démocratique du Congo (RDC), où 44 % seulement des sommes demandées par l’ONU l’année dernière ont pu être recueillies, relève M. Peyre-Costa, qui est établi à Kinshasa.

On ne veut pas lancer la pierre. Tant mieux si l’appel pour l’Ukraine a pu être financé à 100 % pratiquement en une journée. Mais disons qu’on aimerait assister à la même réponse pour toutes les autres crises humanitaires.

Tom Peyre-Costa, porte-parole de l’organisation pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale

Les besoins en RDC, qui compte 5,5 millions de réfugiés internes et près de 30 millions de personnes souffrant de la faim, sont énormes, mais ne reçoivent pas beaucoup d’attention, ni des dirigeants occidentaux ni des médias.

« Extrême urgence »

« Nous sommes forcés de répondre à l’extrême urgence, pas à l’urgence. […] Quand une nouvelle vague de personnes est déplacée à cause d’attaques sanglantes, nous devons cesser nos activités ailleurs pour leur venir en aide », souligne le porte-parole du NRC.

La situation est similaire au Soudan du Sud, un autre pays africain frappé par une dévastatrice guerre civile.

Les dirigeants du Programme alimentaire mondial (PAM) ont annoncé lundi qu’ils étaient contraints, faute de fonds, de limiter cette année la distribution d’aide alimentaire à 4,5 millions de personnes souffrant gravement de la faim, soit 1,7 million de moins que prévu.

PHOTO ED RAM, AGENCE FRANCE-PRESSE

Une mère est au chevet de son enfant malnourri, dans un hôpital somalien, début juin.

L’organisation a indiqué que toutes les options avaient été étudiées avant d’arriver à cette mesure, qui survient après que les portions distribuées en 2021 ont été réduites de moitié pour permettre de continuer à venir en aide à un nombre maximal de familles.

La directrice de la section locale du PAM, Adeyinka Badejo, a indiqué dans un communiqué qu’elle était « extrêmement préoccupée » par l’impact des nouvelles coupes sur les populations délaissées.

Leurs difficultés vont être exacerbées par la montée du prix des denrées de base, qui est alimenté partiellement par le conflit en Ukraine et le déclin des exportations de blé qui en découle.

Des familles devront se résoudre à sauter des repas, à vendre des biens de première nécessité ou à faire travailler des enfants pour se tirer d’affaire, a prévenu Mme Badejo.

Les besoins humanitaires excèdent largement le financement reçu cette année. Si ça continue, nous devrons faire face dans le futur à des problèmes encore plus importants et coûteux.

Adeyinka Badejo, directrice de la section locale du PAM

M. Peyre-Costa note que le financement accordé aux besoins humanitaires de pays en crise depuis des années tend généralement à diminuer.

« Eurocentrisme »

« Il y a de la fatigue et de la lassitude chez les bailleurs de fonds et les décideurs politiques qui ne voient pas la lumière au bout du tunnel malgré l’importance des fonds injectés », déplore-t-il.

L’éloignement joue aussi un rôle important dans la réaction des pays donateurs et de leur population, relève le représentant du NRC, qui explique une partie de l’attention importante accordée au conflit ukrainien par une forme d’« eurocentrisme ».

« Quand la guerre vient frapper aux portes de l’Europe, les gens se sentent concernés. La proximité culturelle joue comme la proximité géographique. Il y a aussi un aspect de nouveauté à considérer », relève M. Peyre-Costa, qui presse les pays donateurs de ne pas oublier l’Afrique.

« Lorsque le financement manque, il faut faire des choix impossibles, décider qui reçoit de l’aide, qui n’en reçoit pas. C’est très dur. »