Le monarque Philippe est à Kinshasa cette semaine afin de relancer les relations avec la République démocratique du Congo

Une dent. C’est tout ce qu’il reste de l’homme politique congolais Patrice Lumumba, assassiné en janvier 1961.

Pendant plus de 50 ans, cette relique a alimenté tous les fantasmes et toutes les conjectures concernant l’implication de la Belgique dans le meurtre de ce héros de l’indépendance, devenu le tout premier chef de gouvernement de ce pays d’Afrique centrale.

Conservé précieusement par le policier qui avait assisté à l’exécution, cet objet devenu mythique a tantôt disparu, tantôt réapparu, avant d’être saisi par le gouvernement belge.

Photo archives Associated Press

L’ancien premier ministre congolais Patrice Lumumba, le 24 juillet 1960

Une véritable saga qui devrait enfin trouver sa conclusion, puisque la molaire en question doit être rapatriée en République démocratique du Congo (RDC) pour être restituée à ses héritiers.

Un geste fort qui permettra à la famille de faire son deuil.

Le militant belgo-congolais Kalvin Soiresse, qui a notamment milité pour la création d’une place Patrice-Lumumba à Bruxelles

Ce ne sera pas la seule avancée dans l’histoire tumultueuse qui unit la Belgique et la RDC.

Un an après avoir exprimé ses « profonds regrets » pour les « blessures et souffrances » causées par la colonisation belge au Congo (1885-1960), le roi des Belges Philippe se rend en effet à Kinshasa cette semaine pour donner un « nouveau souffle » aux relations entre les deux pays, qui ont été assez compliquées depuis l’indépendance du Congo, en 1960.

Le souverain sera accompagné du premier ministre belge, Alexander De Croo, et d’une délégation gouvernementale et de gens d’affaires importante chargée d’établir de nouveaux partenariats économiques avec l’ancienne colonie, aujourd’hui dirigée par le président Félix Tshisekedi.

Cette visite royale est la première depuis celle d’Albert II, père de Philippe, en 2010. Mais elle s’effectue dans un contexte fort différent, où le débat autour du passé colonial belge ne cesse de déchaîner les passions.

Tandis que des descendants belgo-congolais exigent des réparations financières et travaillent à la « décolonisation des mentalités » en Belgique, un rapport de l’ONU statuait il y a trois ans que le pays de Tintin devrait formuler des excuses officielles au pays africain, ce qui n’a pas encore été fait. Le mouvement Black Lives Matter n’a fait qu’amplifier cette vague de réparation de l’Histoire.

« Parler de la colonisation de manière nuancée est devenu quasiment impossible aujourd’hui. C’est un débat qui va très loin, qui touche le monde académique, politique ou militant et pour lequel je ne vois pas d’apaisement », souligne l’historien Pierre-Luc Plasman, spécialiste de la colonisation du Congo.

La visite du roi Philippe en RDC est manifestement un pas dans la bonne direction, ajoute son collègue Vincent Dujardin, professeur à l’Université catholique de Louvain. D’autant que le monarque risque d’évoquer ouvertement le traumatisme de la colonisation belge, chose que ses prédécesseurs n’avaient jamais faite.

Pour l’historien, ce « souhait de reconnaître les faits du passé colonial » devrait permettre d’« apaiser la mémoire » et de « construire sur cette base un futur en commun » avec la RDC.

« C’est un signal, ça montre que la Belgique met le paquet », tranche-t-il.

Une restitution « symbolique et historique »

Il aurait été question que le roi ramène lui-même la dent de Patrice Lumumba en RDC. Les deux feront finalement le voyage séparément et la relique ne sera retournée en RDC qu’à la fin du mois de juin.

Kalvin Soiresse admet que cette restitution a une portée « symbolique et historique ». Mais elle est loin de clore le dossier, selon lui.

Une commission d’enquête parlementaire avait conclu il y a 20 ans à la « responsabilité morale » de la Belgique dans l’assassinat de Lumumba. Sauf qu’une plainte pour complot et crime de guerre visant l’État belge est toujours en cours et M. Soiresse souligne que, des 12 responsables visés par l’enquête, deux sont encore vivants.

« La question pénale n’est donc pas réglée », résume le militant.

PHOTO JACOB HARRIS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Manifestants brandissant des pancartes anti-Belges et pro-Patrice Lumumba le 11 février 1961, après la disparition de l’homme politique congolais

Rappelons que dans le chaos politique ayant suivi l’indépendance du Congo, Patrice Lumumba, alors premier ministre, avait été fait prisonnier par les forces rebelles de la province du Katanga, avec la complicité des autorités belges et de la CIA, qui percevait l’homme comme prosoviétique.

Lumumba avait été exécuté, puis découpé en morceaux et dissous dans l’acide avec deux de ses frères d’armes. Le policier belge Gérard Soete, présent pendant l’opération, aurait toutefois conservé une de ses dents, jusqu’à ce que la justice belge la lui réclame.

La relique est-elle authentique ? Mystère. Aucun test d’ADN n’a été effectué à ce jour.

Mais pour Kalvin Soiresse, la question est ailleurs.

Il s’agira plutôt de voir comment la RDC tirera parti de cette restitution en faisant fructifier l’héritage de Patrice Lumumba, aujourd’hui considéré comme un personnage incontournable de l’Histoire et de la nation congolaise.

« Est-ce que c’est un coup de pub ou est-ce que c’est une vraie volonté de réhabiliter l’homme et sa pensée politique ? demande-t-il. Ça, c’est l’avenir qui nous le dira… »