La question de l’avortement secoue les États-Unis. Ailleurs dans le monde, des pays se sont repositionnés récemment sur le sujet, assouplissant leurs lois ou, plus rarement, les durcissant. Tour d’horizon.

Mer verte

En 2015, Chiara Páez a été battue à mort par son copain. La jeune Argentine avait 14 ans. Elle était enceinte.

Ce énième féminicide a enflammé les féministes d’Argentine. « Pas une de moins », ont scandé les manifestantes.

Dans une mer de fanions verts, le mouvement s’est positionné pour défendre le droit des femmes, réclamant, du même coup, la légalisation de l’avortement.

Les militantes ont eu gain de cause en décembre 2020.

« Les féministes en Argentine ont associé les féminicides et les droits concernant la santé reproductive, il y a eu un lien fait entre la violence contre les femmes et leurs droits reproductifs », explique Chritina Ewig, professeure à l’Université du Minnesota spécialisée dans le droit des femmes et l’Amérique latine.

Deux enjeux perçus comme « des affronts similaires à l’autonomie des femmes », dit-elle.

Les petits foulards verts sont devenus le symbole de leur combat, en Amérique du Sud comme ailleurs : des Américaines pro-choix l’ont d’ailleurs porté dans des marches cette semaine.

La marée verte s’est étendue à d’autres pays de la région. La Colombie est devenue la dernière en liste, il y a deux mois, à rendre possible l’avortement sur demande, rejoignant l’Uruguay. Le Chili, qui réécrit actuellement sa constitution, a décidé cette année d’y inclure la dépénalisation de l’avortement.

Ailleurs sur le continent sud-américain, l’avortement reste possible à plusieurs endroits, mais à certaines conditions – pour sauver la vie d’une femme ou en cas de viol, par exemple.

Criminelles

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Une femme réclamant la légalisation de l’avortement lors d’une manifestation à San Salvador, en 2012

Si plus de 50 pays ont assoupli leurs lois sur l’avortement au cours des 25 dernières années, selon Amnistie internationale, d’autres ont pris le chemin inverse. Le Salvador a durci le ton en 1998 : quels que soient les risques pour la santé de la femme ou de l’enfant qu’elle porte, l’avortement y est interdit et passible d’emprisonnement. Au Honduras, le gouvernement a resserré ses lois l’an dernier et rendu encore plus difficile une modification future.

La République dominicaine et le Nicaragua font aussi partie des pays d’Amérique latine interdisant totalement le recours à l’interruption volontaire de grossesse. « C’est intéressant, parce que ces quatre pays sont considérés comme de faibles démocraties selon les standards habituels – le Nicaragua est considéré comme autoritaire », souligne Mme Ewig.

Populistes

« C’est important de garder en tête que, quand on parle de restriction sur l’avortement et de recul des droits des femmes, ça s’inscrit dans une tendance plus large de détérioration du système démocratique », dit Regitze Helene Rohlfing-Frederiksen, doctorante de l’Université de Copenhague.

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Manifestation contre la loi restreignant le droit à l’avortement, à Varsovie, en Pologne, en janvier 2021

La chercheuse a étudié le recul de la démocratie en Europe de l’Est et centrale et le lien avec l’avortement. La Pologne, par exemple, a restreint en octobre 2020 le recours à l’avortement ; maintenant, seuls un cas de viol ou une menace à la vie de la femme peuvent justifier une interruption volontaire de grossesse. La Hongrie et la Slovaquie ont aussi cherché à limiter l’accès à l’avortement.

Les « manuels » des politiciens populistes se ressemblent, note Mme Rohlfing-Frederiksen : leurs politiques ne limitent pas seulement l’accès à l’avortement, mais s’ancrent globalement « dans le rôle des hommes et des femmes dans une société conservatrice chrétienne », attaquant, du même coup, les droits LGBTQ+, par exemple.

Et l’influence catholique perdure dans bien des pays. En Italie, des statistiques officielles du gouvernement montraient en 2013 que 70 % des gynécologues s’opposaient à l’avortement. La loi italienne impose également une semaine de réflexion à la femme cherchant à interrompre une grossesse.

Prévenir la mort

Les changements en matière d’avortement mettent du temps à se concrétiser.

En 2003, 52 pays africains ont signé le protocole de Maputo, pour reconnaître l’interruption volontaire de grossesse médicalisée comme un droit pour certains motifs – par exemple en cas de grossesse résultant d’un viol. Les lois, quant à elles, n’ont pas toutes été adaptées.

Des femmes souffrant d’hémorragies ou d’infections graves après avoir tenté d’interrompre une grossesse à l’aide d’herbes, de produits traditionnels ou de longues tiges insérées dans l’utérus, les cliniques de Médecins sans frontières en ont vu plus d’une, raconte Colette Badjo, dont la dernière mission pour l’organisme était en Centrafrique. « Il y a beaucoup de décès en Afrique dans ces conditions », dit-elle.

L’organisme pratique l’avortement médicalisé dans ses cliniques, pour prévenir les complications et la mortalité, souligne la coordonnatrice.

Les violences sexuelles sont un fléau en Centrafrique, aux prises avec une guerre sanglante. L’avortement y est permis en cas de viols, ce qui permet à Médecins sans frontières d’offrir ce type de services dans ses cliniques destinées aux survivantes. « Quand une femme ou une jeune fille vient pour une demande d’avortement, nous ne cherchons pas à savoir si c’est parce qu’elle a été violée ou pas, précise Mme Badjo. Si elle demande, ça se fait. Chez les autorités sanitaires des pays, il y en a qui ferment les yeux, il y en a qui critiquent, mais on leur explique : nous, MSF, on le fait pour réduire la mortalité maternelle. »

Elle souligne que, sur le continent africain, les positions antiavortements proviennent surtout des dirigeants et des groupes religieux.

« Autant on dit qu’il y a des restrictions au niveau des lois, au niveau des communautés, des villages, c’est une pratique qui se fait depuis longtemps », dit Mme Badjo.

Nuances de gris

Si une carte permet de voir les différentes législations en un coup d’œil, il faudrait une large palette pour représenter toutes les nuances dans chaque pays. D’abord, comme le démontre le cas devant la Cour suprême des États-Unis, parce qu’il peut exister une différence entre la loi fédérale et les compétences des différents États. Ensuite, parce que les services ne sont pas automatiquement accessibles simplement parce que la loi les autorise. « Dans beaucoup de pays à faible ou moyen revenu, même dans les cas où la loi est très large, le degré d’accessibilité est très loin de 100 % : généralement, les régions urbaines vont avoir un meilleur service, et les femmes plus riches aussi », explique Susheela Singh, vice-présidente pour la science globale et les politiques d’intégration de l’institut Guttmacher, centre de recherches pour l’avortement.

De même, dans les pays où la loi est plus restrictive, elle peut être appliquée de façon variable. « Le Salvador a l’une des lois les plus restrictives du monde et il l’applique, ajoute-t-elle. Mais la plupart des pays qui ont des lois restrictives ou qui criminalisent l’avortement ne vont pas jusqu’à poursuivre les femmes. »

Avec l’Agence France-Presse

En savoir plus
  • 2020
    Année de la dépénalisation de l’avortement en Nouvelle-Zélande
    AGENCE FRANCE-PRESSE
    30 %
    Pourcentage des morts liées à l’avortement non sécurisé se trouvant en Asie
    AGENCE FRANCE-PRESSE