Dans le chaos de la fuite massive des réfugiés, des ressortissants étrangers font face à du racisme au fil de leur longue quête de sécurité vers la Pologne

(Przemyśl) Les chariots d’épicerie remplis de nourriture peinent à se frayer un chemin dans la gare de Przemyśl. Leurs pilotes bénévoles contournent les enfants endormis sur le plancher, bifurquent pour éviter de rouler sur la queue d’un chien, freinent devant les obstacles qui se dressent devant eux.

C’est la cohue dans les salles des pas perdus. La majorité des déplacés n’ont pas fini leur périple, et le transporteur ferroviaire national fournit des billets gratuits pour toutes les destinations en Pologne aux Ukrainiens, en échange d’un passeport ou d’une preuve d’identification.

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Des billets de train gratuits sont distribués aux Ukrainiens, en échange d’un passeport ou d’une preuve d’identification.

Helena Tchitembo et trois amis patientent devant un guichet. Ils iront à Varsovie, après un rude voyage qui aura duré trois ou quatre jours – le groupe peine à s’entendre sur le moment où ils ont plié bagage pour fuir la guerre. Mais là où ils sont unanimes, c’est sur le cauchemar qu’ils ont vécu parce qu’ils sont noirs, selon eux.

« On nous a dit que les Ukrainiens passaient devant nous. Ils allaient d’un côté, nous de l’autre, et on leur disait de se rendre à un endroit pour avoir accès à des autocars. Ces véhicules partaient presque tout de suite sous nos yeux », dit la Congolaise, étudiante au doctorat en pharmacie à Kiev.

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Gare de Przemyśl, en Pologne

Puis, dans le train qui a mené le groupe en Pologne, on l’a « poussée », « piétinée ».

Son amie Jessica Kassendwe, étudiante en génie de logiciel, l’interrompt : « Et on a piétiné les autres Noirs. Il y avait une femme enceinte, une Nigériane. On l’a piétinée, car elle essayait de monter dans le train. On lui a dit : “Les étrangers, pas vous. La priorité à nos femmes et nos enfants.” »

En l’écoutant, Helena dégage d’un doigt les larmes qui inondent ses joues.

Quand je repense à ça, c’est atroce, quand même ! Nous sommes tous humains ! On ne mérite pas ça. Ce n’est pas nous qui avons créé cette guerre. Dieu merci, nous sommes arrivés en Pologne. Mais par chance, parce qu’il n’y avait plus assez d’Ukrainiens.

Helena Tchitembo, étudiante congolaise au doctorat en pharmacie à Kiev

Les témoignages de deux compatriotes congolais rencontrés séparément vont dans le même sens. « Ils privilégiaient vite les Ukrainiens à nous, les étrangers. Mais nous avons tous droit à la vie », se désole Emmanuel, étudiant en économie à Kiev. « Sur le plan de l’organisation humanitaire, c’est zéro », renchérit son ami qui n’a pas voulu se nommer.

Du côté de Medyka, point d’entrée terrestre situé non loin de là, Sandip Dhapa en veut à ces personnes « corrompues » qu’il a croisées sur le chemin de l’exil. Avec ses amis, le Népalais avait déboursé 4000 $ pour quatre voitures devant les transporter en Pologne.

« Quand nous sommes arrivés à Lviv [en Ukraine], ils nous ont sommés de leur donner 1000 $ de plus pour aller jusqu’à la frontière. Ils n’ont fait preuve d’aucune humanité à notre égard », laisse tomber le jeune homme de 25 ans. Il compte rentrer chez lui, parce que c’est « plus sûr ».

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Sandip Dhapa, Népalais de 25 ans

Le contraste entre la façon dont les réfugiés de guerre ukrainiens et les réfugiés de pays d’Afrique ou du Moyen-Orient sont perçus, et accueillis en terre d’asile, a fait sourciller ces derniers jours. Au chapitre des propos jugés inacceptables, on note ceux du premier ministre de la Bulgarie, Kiril Petkov.

« Ce ne sont pas les réfugiés auxquels nous sommes habitués. Ces gens sont européens. Ils sont intelligents, éduqués. Ce n’est pas la vague de réfugiés à laquelle nous avons été habitués […] et des gens au passé flou, qui auraient même pu être des terroristes », a-t-il déclaré un peu plus tôt cette semaine.

La bienveillance au rendez-vous

On ne peut cependant dire qu’à la gare de Przemyśl, l’ambiance est morose de A à Z.

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Un garçon ukrainien joue dans une aire de jeu aménagée à la gare de Przemyśl.

« Je veux vous donner un coup de main. Si vous avez besoin de manger quelque chose, je peux vous accompagner pour que vous trouviez », dit en découpant soigneusement chaque syllabe Hosman Viorel à deux jeunes hommes, devant l’édifice.

« Je suis venu chercher une personne qui arrive d’Ukraine, une personne âgée. Comme le train a du retard, eh bien, il vaut mieux geler pour quelque chose », rigole l’homme de la Moldavie qui porte autour du cou une pancarte sur laquelle on peut lire « Je parle français ».

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Hosman Viorel, de la Moldavie

À l’intérieur, un homme gère la liste des offres et des demandes de transport. On s’agglutine autour de lui pour savoir qui propose des trajets vers Cracovie, Varsovie, Katowice ou toute autre ville polonaise.

Le Néerlandais Stefan Slingerland, quant à lui, a quitté Amsterdam pour prêter main-forte. Lundi, il arpentait les couloirs de la gare pour trouver des passagers avec qui faire le chemin du retour.

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Stefan Slingerland (à gauche)

« Je regardais les nouvelles à la télévision et j’étais stupéfié de voir des mères et leurs enfants dans une telle situation. J’ai une femme et deux jeunes enfants. C’était à briser le cœur de voir ce qui se passait ici », dit-il en buvant un café au restaurant de la gare.

Ce qui m’a frustré, c’est que, chez moi, je voyais des ponts illuminés en bleu et jaune [couleurs du drapeau ukrainien] et je me disais que ça ne servait strictement à rien. Poutine est cinglé ! J’ai donc décidé de venir aider.

Stefan Slingerland

Dans la grande salle, un autre homme espère voir enfin débarquer des étudiants de l’Équateur qui étaient en Ukraine. Ils sont environ 700, et on n’en a cueilli qu’une vingtaine, dit-il avec sa pancarte « Ecuador » au cou. Un autre, d’origine ukrainienne, propose un trajet, car « c’est tout ce qu’[il] peut faire ».

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Au poste-frontière de Medyka, un homme a attendu 12 heures avant de voir enfin surgir au loin sa mère, âgée de 80 ans.

Au poste-frontière de Medyka, un homme a attendu 12 heures avant de voir enfin surgir au loin sa mère, âgée de 80 ans. Lorsqu’il l’a aperçue, il a coupé court à la conversation et s’est lancé à sa rencontre pour l’étreindre et lui offrir un peu de chaleur par une fraîche nuit polonaise.