Les écoles du Québec sont désertes depuis le début de 2022. En France et dans bien des villes des États-Unis, les élèves sont plutôt de retour en classe, malgré l’explosion des cas de COVID-19. Le mot « test » prend désormais un nouveau sens, tant pour les écoliers que pour les enseignants…

Aux États-Unis, la classe politique rejette de plus en plus l’enseignement à distance

Deux jours après avoir prêté serment, le nouveau maire de New York, Eric Adams, a tenu sa toute première conférence de presse à l’extérieur d’une école élémentaire du Bronx, lundi matin. À l’ordre du jour : la reprise des classes dans le plus important réseau d’écoles publiques des États-Unis, dont il a la charge, après le congé scolaire des Fêtes.

« Nous sommes très emballés par l’ouverture de nos écoles », a-t-il déclaré à l’amorce d’une journée au cours de laquelle la ville de New York allait recenser un total faramineux de 38 001 cas d’infection à la COVID-19.

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Eric Adams lors de son premier point de presse à titre de maire de New York, devant une école du Bronx, lundi matin

« Et nous voulons être extrêmement clairs : l’endroit le plus sûr pour nos enfants est dans un bâtiment scolaire, et nous allons garder nos écoles ouvertes », a-t-il ajouté. Le lendemain matin, sur CNN, il devait utiliser le mot « hystérie » pour dénoncer tout point de vue contraire. En pleine flambée du variant Omicron, les déclarations du successeur de Bill de Blasio peuvent sembler téméraires, voire irresponsables.

Mais deux ans après le début de la pandémie de coronavirus, elles reflètent une attitude qui n’est plus l’apanage des élus ou électeurs républicains. À l’instar d’Eric Adams, un nombre croissant de responsables démocrates, d’un bout à l’autre des États-Unis, rejettent désormais l’enseignement virtuel comme mesure de prévention et d’atténuation de la pandémie. Joe Biden fait partie de ceux-là.

« Nous n’avons aucune raison de penser à ce stade qu’Omicron est pire pour les enfants que les variants précédents, a déclaré le président mardi. Nous savons que nos enfants peuvent être en sécurité à l’école. »

  • Manifestation à New York, mercredi dernier, pour des mesures de protection sanitaire plus sévères dans les écoles.

    PHOTO JEENAH MOON, REUTERS

    Manifestation à New York, mercredi dernier, pour des mesures de protection sanitaire plus sévères dans les écoles.

  • Manifestation à New York, mercredi dernier, pour des mesures de protection sanitaire plus sévères dans les écoles.

    PHOTO JEENAH MOON, REUTERS

    Manifestation à New York, mercredi dernier, pour des mesures de protection sanitaire plus sévères dans les écoles.

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« Un problème aigu »

Cela dit, les villes qui ont décidé cette semaine de retourner temporairement à l’enseignement virtuel ont souvent en commun d’être dirigées par des démocrates. Figurent parmi celles-ci Newark, Atlanta, Detroit, Milwaukee et Cleveland.

Chicago, troisième ville des États-Unis, devait suivre l’exemple des deux plus importantes, New York et Los Angeles, et reprendre mercredi l’enseignement en présentiel après le congé des Fêtes. Les membres du syndicat des enseignants local s’y sont cependant opposés, optant à 73 % pour un retour à l’enseignement virtuel au nom de « la sécurité des élèves et de la communauté ».

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Lori Lightfoot, mairesse de Chicago

La mairesse démocrate de Chicago, Lori Lightfoot, a dénoncé « une action unilatérale » qui prive « des centaines de milliers d’élèves de l’environnement scolaire sûr et en personne dont ils ont besoin ». Résultat : les élèves de Chicago n’ont eu aucun enseignement cette semaine, ni en personne ni à distance.

  • Les écoles de Chicago, comme celle-ci, sont demeurées fermées cette semaine à la suite d’un vote des enseignants pour l’enseignement à distance.

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    Les écoles de Chicago, comme celle-ci, sont demeurées fermées cette semaine à la suite d’un vote des enseignants pour l’enseignement à distance.

  • « Protégez les enseignants » : Adan Meza, 29 ans, a participé à une manifestation devant le siège de son syndicat à Chicago, le 5 janvier dernier.

    PHOTO ASHLEE REZIN, ASSOCIATED PRESS

    « Protégez les enseignants » : Adan Meza, 29 ans, a participé à une manifestation devant le siège de son syndicat à Chicago, le 5 janvier dernier.

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L’opposition grandissante à l’enseignement à distance chez les démocrates est notamment liée à des études démontrant son effet négatif sur le développement socio-émotionnel des élèves. « C’est un problème aigu », a déclaré à La Presse David Bloomfield, professeur de leadership en éducation au Collège de Brooklyn et au Centre d’études supérieures de l’Université de New York.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE DAVID BLOOMFIELD

David Bloomfield, professeur au Collège de Brooklyn et à l’Université de New York

L’isolement est une chose terrible pour tout le monde, en particulier pour les enfants qui dépendent de l’école non seulement pour leur vie sociale et leur apprentissage, mais aussi, à bien des égards, pour la nourriture et d’autres aides.

David Bloomfield, professeur au Collège de Brooklyn et à l’Université de New York

Le professeur Bloomfield s’inquiète moins des retards d’apprentissage qui sont attribués à l’enseignement à distance. « Les élèves peuvent rattraper les retards d’apprentissage, a-t-il estimé. Je suis plus préoccupé par l’isolement et l’ennui qui se développent lorsqu’ils sont éloignés des interactions sociales habituelles. »

À New York, environ un tiers des quelque 1 million d’élèves étaient absents lundi. La plupart d’entre eux étaient issus des communautés noire et hispanophone, qui ont le plus souffert de l’enseignement à distance. Ils font aussi partie du groupe que le maire Adams souhaitait le plus convaincre de se présenter en classe.

En gros, le successeur de Bill de Blasio a adopté la nouvelle politique mise en place par ce dernier pour protéger la santé des élèves et des enseignants. Depuis lundi, la Ville de New York a notamment doublé le nombre d’élèves testés dans chaque école, en incluant à la fois les élèves vaccinés et les élèves non vaccinés. Les tests, les masques et les vaccins constituent les outils les plus souvent employés par les villes et les commissions scolaires pour maintenir les écoles ouvertes.

PHOTO WILFREDO LEE, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Ron DeSantis, gouverneur républicain de la Floride

Mais des responsables républicains considèrent comme superflus certains de ces outils, dont le port du masque et le dépistage. « Les enfants doivent être à l’école », a déclaré le gouverneur de la Floride, Ron DeSantis, lundi. « Ils n’ont pas besoin de se plier à de folles mesures d’atténuation. Laissez-les simplement être des enfants. Je pense qu’il est clair que beaucoup de ces mesures n’ont pas marché, point final. »

4 %

Pourcentage des écoles américaines qui ont eu recours à l’enseignement à distance cette semaine

En France, une rentrée « bordélique » !

PHOTO STÉPHANE MAHÉ, ARCHIVES REUTERS

Une enseignante distribue à ses élèves du gel désinfectant avant qu’ils entrent en classe, dans une localité près de Nantes, en France.

Les élèves français étaient de retour en classe cette semaine, même si les cas de COVID-19 explosent. Entre contact tracing et complexités logistiques, les nouvelles mesures du ministère de l’Éducation ne font pas l’unanimité, notamment chez les enseignants.

L’école à tout prix. Et à n’importe quel prix. En France, contrairement au Québec, pas question de reporter la rentrée scolaire de janvier, en dépit de l’explosion de cas de COVID-19, qui se chiffre à environ 335 000 contaminations par jour (chiffres de mercredi).

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation

Dimanche dernier dans le journal Le Parisien, le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer avait annoncé que le retour en classe se ferait comme prévu le 3 janvier, avec toutefois un protocole sanitaire modifié.

Si un élève reçoit un test positif à la COVID-19, toute la classe devra désormais se faire tester en laboratoire, au lieu d’être automatiquement fermée. Les cas négatifs pourront retourner en classe, puis faire un autotest (test rapide) au jour 2 puis au jour 4, avec attestation sur l’honneur des parents.

Cette politique du contact tracing, pour reprendre les mots bien français du ministre, est loin de faire l’affaire de tout le monde. Chez les parents comme chez les enseignants, ou dénonce le « bazar » occasionné par les nouvelles mesures, dont l’efficacité s’annonce du reste bien illusoire.

PHOTO LAURENT CIPRIANI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

File d’attente devant un centre de dépistage de la COVID-19 à Albigny-sur-Saone, près de Lyon, mardi dernier

« C’est stressant, c’est le bordel », résume Caroline Masson, du village d’Ambérieu-en-Bugey, dans la région Rhône-Alpes.

Considérant que « toute la France est actuellement cas contact », cette mère de deux enfants au primaire redoute de recevoir un appel de l’école à tout moment pour devoir aller chercher sa progéniture.

Elle souligne que la pharmacie locale est en rupture de stock pour les autotests et que le laboratoire de la région roule au ralenti, à cause de la demande excessive et d’effectifs réduits pour cause de contamination.

« C’est compliqué de s’organiser, le village est sens dessus dessous », ajoute-t-elle, sans avoir pour autant de meilleure solution à proposer.

PHOTO LOIC VENANCE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Test rapide vendu dans un supermarché en France

Le constat n’est pas plus jovial chez Émilie Duval, de Larajasse, dans la région des monts du Lyonnais.

Pour cette enseignante au primaire, les nouvelles consignes gouvernementales, balancées dimanche à la dernière minute, sont « une catastrophe sur le plan de l’organisation ». Pour les parents, bien sûr, mais aussi pour les instituteurs, qui auront la double tâche d’enseigner à la fois en « présentiel » aux cas négatifs restés en classe et en « distanciel » à ceux qui auront été gardés en quarantaine à la maison.

Je dois gérer ceux qui sont devant moi et ceux qui sont derrière l’écran. Ça demande beaucoup de travail. Les gens ne se rendent pas compte…

Émilie Duval, enseignante

Émilie Duval estime que la France aurait dû faire comme le Québec et repousser la rentrée d’au moins une semaine, question de voir comment la situation évoluait « après le brassage familial du temps des Fêtes ».

L’avantage, dit-elle, aurait été d’avoir « tout le monde en même temps derrière l’écran » et de minimiser les contaminations, qui seront inévitables de toute façon.

Haut les masques

Son discours rejoint en gros celui de la SNUipp-FSU, principal syndicat des enseignants du primaire en France, qui conteste vivement la décision du gouvernement. « Ces nouvelles mesures protectrices ne nous protègent pas du tout », déclare la porte-parole de l’organisation, Guislaine David.

Mme David rappelle qu’un élève peut avoir un test négatif au jour 2, mais recevoir un résultat positif et être contagieux le lendemain, lui laissant le temps de contaminer à peu près tout le monde de son entourage, notamment à la cafétéria, quand tombent les masques. « C’est une vraie passoire parce que les enfants vont forcément diffuser le virus, et c’est très inquiétant », lance-t-elle.

PHOTO STÉPHANE MAHÉ, ARCHIVES REUTERS

Outre le « casse-tête » appréhendé avec le système des autotests et toute la « complexité » liée à la gestion des cas contacts, Mme David craint une forte désorganisation de l’école causée par le manque d’effectifs.

Le Conseil scientifique de France estimait en décembre que le tiers des enseignants au pays auront un résultat positif à la COVID-19 en janvier. Ce chiffre a été revu à la baisse cette semaine par le ministre Blanquer, qui prévoit plutôt un « pic à 15 % » d’absents. Faute de remplaçants, cette hécatombe risque, quoi qu’il en soit, de provoquer de nombreuses fermetures de classes, avec tout le « bazar » que cela suppose.

La SNUIPP accuse en outre le gouvernement de mal protéger le corps enseignant, en ne lui fournissant pas de masques FFP2 (équivalent des N95 en Amérique du Nord), réputés plus efficaces. Interrogé sur ce point, le ministre Blanquer a déclaré que ces masques étaient réservés aux soignants et qu’il était de toute façon « très difficile de faire cours » en les ayant sur le visage. Résultat : « De nombreux enseignants doivent se contenter de masques en tissu ou chirurgicaux, ou s’équiper eux-mêmes en FFP2 », regrette Mme David.

La SNUIPP devait rencontrer jeudi le ministre de l’Éducation.

D’autres syndicats, pourtant réputés peu virulents, ont appelé leurs membres à la grève. Sollicitée en ce sens, Émilie Duval ne considère toutefois pas l’option, malgré tout le « bordel » ambiant.

« Heureusement que j’aime mon travail et que je suis dans une équipe sympa, conclut-elle. Parce que c’est vrai, sinon, on pourrait facilement craquer… »

Plus de 9000 classes fermées, au plus haut depuis le printemps

Le nombre de classes fermées à cause de la COVID-19 a explosé cette semaine en France pour s’établir à 9202, soit le plus haut niveau depuis le printemps 2021, a annoncé jeudi le ministère de l’Éducation nationale. C’est plus de trois fois supérieur au bilan publié avant les vacances de Noël (le 16 décembre), qui s’élevait à 2970 classes fermées. En avril dernier, avant la fermeture des écoles pour plusieurs semaines, le nombre de classes fermées était passé à plus de 11 000 (11 272 classes le 2 avril). Il était ensuite redescendu à 5110 à la fin mai. Au total, la France compte 527 200 classes. Concernant les contaminations, le ministère recense 47 453 cas confirmés déclarés d’élèves (contre 50 052 le 16 décembre), et 5631 cas confirmés déclarés de personnels (contre 2599 le 16 décembre).

Agence France-Presse