(New York) Il faut remonter à l’un des moments les plus périlleux de la guerre froide pour trouver l’équivalent de la situation dans laquelle sont aujourd’hui plongés les États-Unis et la Russie, selon un historien de ce conflit qui a travaillé au sein du département d’État américain dans l’administration de Barack Obama.

« Je dirais que c’est très dangereux. Cela rappelle la période qui a précédé la crise des missiles cubains pendant la guerre froide », a déclaré à La Presse Michael Kimmage, en faisant référence à la suite d’évènements survenus en octobre 1962 et qui ont opposé les États-Unis et l’Union soviétique au sujet de missiles nucléaires pointés en direction de la Floride à partir de l’île de Cuba.

Le spécialiste a émis cette opinion après l’annonce par l’administration Biden de lourdes sanctions contre la Russie en représailles, notamment, de la cyberattaque géante de 2020 ayant visé de nombreuses agences gouvernementales et grandes entreprises américaines.

En plus d’expulser dix diplomates russes et de sanctionner six sociétés technologiques russes accusées de soutenir les activités du renseignement du Kremlin, le gouvernement américain a interdit aux institutions financières américaines d’acheter directement de la dette émise par la Russie après le 14 juin prochain.

Dans un décret présidentiel, Joe Biden a également annoncé des sanctions contre 32 entités ou personnes accusées d’avoir tenté d’influencer, au nom du gouvernement russe, l’élection présidentielle de 2020 aux États-Unis. Son gouvernement s’est en outre allié à des partenaires internationaux, dont le Canada, pour imposer des sanctions à huit personnes et entités associées « à l’occupation et à la répression persistantes en Crimée ».

« Il n’y a aucune règle »

Ces sanctions interviennent au moment où la Russie procède à un important renforcement militaire à la frontière de l’Ukraine et en Crimée. Bien qu’elles n’aient surpris personne, elles pourraient avoir des conséquences imprévues.

« Je pense que ce qui rend cette situation si dangereuse, c’est qu’il n’y a pas de relations diplomatiques réelles [entre les États-Unis et la Russie] », a déclaré Michael Kimmage, responsable de la planification des politiques russes et ukrainiennes auprès du secrétaire d’État américain de 2014 à 2016. « Peut-être Poutine et Biden parlent-ils au téléphone, peut-être ont-ils un sommet, mais Washington et Moscou se sont vraiment éloignés de la diplomatie depuis 2014, et peut-être un peu avant. »

S’ajoute à cette absence de diplomatie un affrontement dans le domaine du cyberespace « où il n’y a aucune règle d’engagement de quelque nature que ce soit », selon Michael Kimmage, qui est désormais professeur et directeur du département d’histoire de l’Université catholique d’Amérique, à Washington.

Vous avez donc les deux premières puissances nucléaires du monde qui sont dans une phase de confrontation assez importante avec très peu de diplomatie et très peu de règles.

Michael Kimmage, professeur et directeur du département d’histoire de l’Université catholique d’Amérique

« Washington et Moscou n’ont pas l’intention de s’engager dans une voie militaire ouverte, poursuit le professeur. D’un autre côté, les accidents et les circonstances pourraient jouer un rôle important, tout comme les interprétations erronées d’un pays envers l’autre. »

Maria Zakharova, porte-parole de la diplomatie russe, a exprimé la réaction initiale de Moscou aux sanctions annoncées par l’administration Biden. « Un tel comportement agressif recevra une forte rebuffade. La réponse aux sanctions sera inévitable », a-t-elle déclaré.

Le Kremlin a également fait savoir que l’ambassadeur des États-Unis à Moscou avait été convoqué par les autorités pour « une conversation difficile ».

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Le président de la Russie, Vladimir Poutine

Une dimension personnelle

Les sanctions annoncées par Washington confirment le virage promis par le candidat présidentiel du Parti démocrate vis-à-vis de Moscou. Après avoir accusé Donald Trump de complaisance envers Vladimir Poutine, Joe Biden avait promis de se montrer plus ferme à l’égard de ce dernier. Lors d’une entrevue récente, il a même déclaré que le président russe pouvait être qualifié de « tueur ».

Cette approche n’étonne pas Michael Kimmage.

« Je pense que Biden était un peu plus faucon qu’Obama à l’égard de la Russie », a-t-il dit.

Mais une dimension personnelle s’est greffée à cette approche qui ne date pas d’hier. Après s’être ingérée dans l’élection présidentielle de 2016, la Russie a été accusée d’avoir participé en 2020 à une campagne de désinformation visant notamment Hunter Biden, fils de l’actuel président, et son rôle en Ukraine.

« C’est un risque que Poutine a pris, a déclaré l’historien et spécialiste des relations américano-russes. Je ne sais pas si Poutine s’attendait à ce que Trump soit réélu. Il a peut-être vu cela comme un risque raisonnable, mais c’était en fait un risque majeur. Et je pense que Poutine en paie aujourd’hui le prix. En impliquant la famille du président, il a ajouté un nouvel élément. Un élément personnel et émotionnel. »

Rien de cela n’exclut la possibilité que Joe Biden et Vladimir Poutine finissent par opter pour une approche plus conciliante l’un envers l’autre, et même par se rencontrer à l’occasion d’un sommet.

Mais une escalade entre les deux pays est tout aussi possible.