Un nouveau rapport produit par une cinquantaine d’experts internationaux conclut que la Chine est bel et bien responsable d’un génocide dans le Xinjiang et presse la communauté internationale d’agir plutôt que de multiplier les « faux-fuyants » pour ne pas avoir à affronter le géant asiatique.

L’ex-ministre canadien de la Justice Allan Rock, qui a participé à sa rédaction, dit espérer que le gouvernement canadien « prendra ses responsabilités », à l’instar des autres États signataires de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, afin de faire cesser les exactions et punir leurs auteurs.

M. Rock, qui est aujourd’hui professeur de droit à l’Université d’Ottawa, note que les auteurs du rapport sont arrivés à des conclusions « claires » sur le plan juridique quant à l’existence d’un génocide, laissant peu de latitude au premier ministre Justin Trudeau et à ses homologues des autres pays signataires de la Convention pour « rester formellement silencieux » à ce sujet.

Les partis de l’opposition ont fait voter il y a quelques semaines, avec l’appui de plusieurs députés libéraux, une motion condamnant les exactions contre les Ouïghours comme un génocide, mais le gouvernement s’est abstenu sur la question.

Le député bloquiste Alexis Brunelle-Duceppe, qui porte le dossier des Ouïghours et qui milite pour un déménagement des Jeux de Pékin de 2022, se demande « combien de preuves additionnelles il faudra avant que ce gouvernement se positionne par rapport au Xinjiang et qu’il appelle un chat un chat ».

Dans le camp néo-démocrate, Alexandre Boulerice dit voir dans le nouveau rapport « une étude accablante qui confirme ce qu’on redoutait depuis longtemps ». Il exhorte Justin Trudeau à faire preuve de leadership et à s’assurer de mettre en place « une politique courageuse et cohérente en matière de défense des droits humains ».

Le gouvernement libéral ne peut plus se soustraire à sa responsabilité en vertu du droit international et de la convention sur le génocide de 1948. La première chose que le gouvernement de Trudeau doit faire est de reconnaître le génocide qui a lieu en Chine.

Michael Chong, porte-parole conservateur dans le dossier des Ouïghours

Le ministère des Affaires étrangères a indiqué que le gouvernement était « profondément préoccupé » par la situation au Xinjiang et examinerait le nouveau rapport de « très près ».

Des dérives qui correspondent aux critères de génocide

L’un des instigateurs du rapport, Azeem Ibrahim, qui dirige le Newlines Institute for Strategy and Policy, a indiqué mardi en entrevue que les exactions dans le Xinjiang étaient si « étendues et évidentes » qu’il est impossible de conclure que la Chine n’a pas « l’intention de détruire, en tout ou en partie », la population ouïghoure.

Une étude approfondie de la situation, basée notamment sur des milliers de témoignages et de documents gouvernementaux, démontre, dit M. Ibrahim, que la « guerre au terrorisme » lancée par le président chinois Xi Jinping en 2014 a mené à des dérives qui contreviennent aux cinq critères de la convention pouvant justifier la qualification de génocide, alors qu’une seule violation suffit.

Le rapport, mené avec l’appui du centre montréalais Raoul Wallenberg pour les droits de la personne, relève notamment la « tuerie de masse » de dirigeants de la communauté musulmane ainsi que l’incarcération arbitraire de centaines de milliers de Ouïghours dans des prisons présentées comme des centres de rééducation, où la torture est « systématique ».

On rappelle aussi l’existence d’un vaste système de travail forcé, l’imposition de mesures de stérilisation forcée aux femmes et le placement des enfants dans des familles de l’ethnie Han, où toute référence à leur culture d’origine est exclue.

Les autorités locales, ajoutent les auteurs du rapport, ont « éliminé l’éducation ouïghoure, détruit l’architecture ouïghoure » et rayé ou endommagé « la vaste majorité des mosquées et des sites sacrés » de la région dans le but de parvenir à leurs fins.

Pékin maintient pour sa part que les « allégations » de génocide sont une « farce » et reflètent une campagne lancée par des pays hostiles à la Chine pour ternir indûment son image sur la scène internationale.

M. Ibrahim note que la convention sur le génocide ne prévoit pas de mécanismes pour formaliser rapidement la reconnaissance d’un génocide, laissant à chaque État signataire la responsabilité de trancher et d’agir en conséquence par les moyens les plus appropriés.

L’imposition de sanctions « périlleuse »

Les pays peuvent rompre leurs relations commerciales avec la Chine, imposer des sanctions ou encore tenter de cibler les hauts responsables du régime en utilisant le principe de juridiction universelle pour les arrêter et les traîner en justice s’ils se déplacent à l’étranger, illustre-t-il.

« Beaucoup de pays essaient de louvoyer en disant qu’il faut une enquête de plus ou qu’un tribunal doit intervenir avant de pouvoir agir, mais ce n’est pas le cas. S’ils ne veulent pas faire en sorte que leurs propres lois soient respectées, ils feraient mieux de le dire et de demander l’abolition de la convention sur le génocide », s’exaspère M. Ibrahim.

Allan Rock convient que le poids politique et économique de la Chine rend toute annonce de sanctions plus périlleuse.

Le constat ne peut pour autant justifier l’inaction des pays signataires de la convention, souligne l’ex-ministre, qui était en poste en 1994 lorsque le génocide rwandais est survenu, faisant plus de 800 000 morts sur une période de trois mois.

Plusieurs gouvernements, dont les États-Unis, avaient refusé pendant des semaines de parler de génocide pour ne pas se voir contraints d’intervenir directement dans le conflit.

Kyle Matthews, directeur exécutif de l’Institut d’études sur le génocide et les droits de l’homme de l’Université Concordia, relève que le gouvernement canadien n’était pas intervenu publiquement durant les tueries pour qualifier la situation de « génocide ».

M. Rock s’est dit incapable mardi d’expliquer davantage les motivations canadiennes de l’époque, qui ne changent rien, dit-il, à l’urgence actuelle par rapport au Xinjiang.

« Il faut rappeler qu’il n’existe pas d’exceptions dans la convention sur le génocide pour les pays puissants. Elle s’applique à tout le monde, incluant la Chine. C’est un principe de base pour l’ensemble de l’humanité », relève l’ex-politicien.