L’administration du nouveau président Joe Biden se voit pressée de placer la question des droits de la personne au cœur d’éventuels pourparlers avec la Corée du Nord, alors que le régime de Kim Jong-un continue de souffler le chaud et le froid relativement à son programme nucléaire.

L’importance de l’enjeu est mise en relief par un nouveau rapport de l’Organisation des Nations unies (ONU) montrant que Pyongyang continue de perpétrer contre sa population des sévices assimilables à des crimes contre l’humanité à travers un système de détention arbitraire où la torture est pratiquée à grande échelle.

Les auteurs du rapport déplorent que les « priorités politiques » relativement à la région aient changé au cours des dernières années, ce qui a entraîné une baisse de l’attention accordée par la communauté internationale aux dérives sur ce plan du régime nord-coréen, largement ignorées par l’ex-président Donald Trump lors de tentatives de rapprochement diplomatique.

« Il est impératif de faire respecter le principe de responsabilité s’agissant des violations des droits de la personne commises dans ce pays et de mettre fin au cycle de l’impunité, non seulement pour que justice soit faite et que d’autres violations ne soient pas commises à l’avenir, mais aussi pour parvenir à une paix et une stabilité durables dans la péninsule coréenne », plaide l’ONU.

De « graves violations » signalées en 2014

L’organisation internationale avait sonné l’alarme en 2014 sur le sort des prisonniers politiques qui « disparaissent » sans procès ni décision de justice dans des camps où ils sont « progressivement éliminés » par dizaines de milliers.

Ses enquêteurs avaient aussi évoqué l’existence de « graves violations » dans le système pénitentiaire « ordinaire » en relevant que la grande majorité des personnes qui s’y trouvent sont privées de leur liberté sur la base de procès n’offrant aucune garantie d’équité.

Dans le nouveau rapport, l’ONU relève qu’il n’y a eu « aucun changement significatif » sur ce plan, le régime nord-coréen demeurant engagé « dans une attaque systématique » contre les personnes considérées comme des menaces, notamment des individus qui cherchent simplement à pratiquer leur religion ou tentent d’introduire des éléments jugés « subversifs », comme des livres ou des films étrangers.

L’utilisation de mesures visant à faire souffrir les détenus sur le plan physique et mental continue, souligne-t-on, d’être vue comme un outil pour décourager toute dissidence.

Les passages à tabac et la privation volontaire de nourriture sont fréquents. Les geôliers forcent aussi les prisonniers à demeurer immobiles pendant des heures, sanctionnant tout mouvement ou parole par des punitions, souvent collectives. Dans un cas, une femme a été forcée de se cogner la tête contre les barreaux de cellule jusqu’à en perdre connaissance.

Le travail forcé demeure aussi largement répandu dans le système pénitentiaire, selon l’ONU, qui évoque le témoignage de détenus forcés de tirer des appareils agricoles « comme des bêtes de somme ».

Human Rights Watch notait également dans une étude parue en octobre que les Nord-Coréens aux prises avec le système judiciaire sont traités comme « s’ils valaient moins que des animaux ».

L’isolement du pays exacerbé par la pandémie

Lina Yoon, analyste de l’organisation de défense des droits de la personne, relève que la situation est d’autant plus préoccupante que le régime nord-coréen est plus que jamais coupé du monde à l’heure actuelle.

La pandémie de COVID-19, dit-elle, a amené Kim Jong-un à fermer les frontières, freinant l’entrée de nourriture et de produits de première nécessité, au grand dam d’une population déjà éprouvée par une crise économique délétère.

Mme Yoon pense qu’il est encore plus important dans ce contexte pour les États-Unis — et les autres pays susceptibles de traiter avec le régime nord-coréen — de se « réapproprier la question des droits de la personne » et d’en faire un « élément central » d’éventuels pourparlers visant à assurer la sécurité de la péninsule coréenne.

Après avoir échangé des insultes et des menaces avec le dictateur de la Corée du Nord en début de mandat, Donald Trump avait accepté de le rencontrer lors de sommets hautement médiatisés, sans obtenir de concessions substantielles relativement au programme nucléaire.

Le régime nord-coréen, qui a souvent ponctué l’arrivée d’une nouvelle administration américaine par un geste spectaculaire comme un test de missile, a cette fois fait preuve de retenue. Kim Jong-un a cependant prévenu en janvier, pour faire pression sur Washington, qu’il pourrait poursuivre plusieurs nouvelles avenues sur le plan militaire, y compris le développement d’armes nucléaires « tactiques » de courte portée susceptibles d’être utilisées contre la Corée du Sud.

Le nucléaire représente un « plus grave danger »

Tom Collina, expert des questions de prolifération nucléaire au Fonds Ploughshares, pense que l’administration Biden a d’autres priorités que Pyongyang pour l’heure, notamment la lutte contre la pandémie de COVID-19, et espère pouvoir éviter à court terme toute crise dans ce dossier.

« On sait que les choses peuvent changer rapidement avec la Corée du Nord », prévient M. Collina, qui juge difficile pour les États-Unis de presser le pays sur la question des droits de la personne dans une éventuelle négociation.

« Ce sera toujours une préoccupation, mais il faut ultimement choisir ses priorités. À mes yeux, le plus grave danger vient du programme nucléaire du pays », souligne l’analyste.