Comme la guerre au Yémen, d’autres crises internationales en cours passent largement inaperçues.

Yémen : La dure bataille de Marib

Après plus de sept ans de guerre, le Yémen reçoit peu d’attention dans les médias internationaux. Le conflit est pourtant à un tournant. L’offensive rebelle contre la ville de Marib, au centre du pays, pourrait tout faire basculer.

Pendant longtemps, Marib a été l’ultime refuge des Yéménites fuyant la guerre civile qui déchire leur pays depuis bientôt huit ans. Plus de 1 million de civils ont trouvé refuge dans cette ville de quelques centaines de milliers d’habitants, nichée dans un décor semi-désertique à une centaine de kilomètres de Sanaa, la capitale.

Mais depuis que les rebelles ont intensifié leur offensive contre Marib, cet automne, les bombes pleuvent sur la ville et la centaine de camps qui accueillent les familles déplacées par le conflit. Les frappes sont quotidiennes alors que les houthis, mouvement rebelle soutenu par l’Iran, assiègent la dernière ville importante contrôlée par les forces gouvernementales dans le nord du pays.

Le conflit pourrait être à un tournant, note Thomas Juneau, professeur affilié à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales à l’Université d’Ottawa. Car la chute de Marib pourrait consacrer la victoire des houthis, qui se trouvent déjà en situation de force dans ce conflit qui les oppose aux armées loyalistes soutenues par l’Arabie saoudite.

Il y a eu un moment, cet automne, où tous s’attendaient à ce que Marib tombe aux mains des rebelles. Puis le front s’est stabilisé. La bataille qui a suivi est féroce. Sur la cinquantaine de lignes de front toujours actives au Yémen, celle de Marib est la plus meurtrière. Les houthis envoient des « vagues humaines » vers Marib pour se frayer un passage à travers les champs de mines et gruger les lignes de défense des loyalistes, explique Thomas Juneau. Les enfants de 12 ou 13 ans sont nombreux parmi ces soldats envoyés à l’abattoir.

Ville stratégique

La ville de Marib a une importance à la fois symbolique et stratégique, explique Thomas Juneau, qui vient de publier l’essai Le Yémen en guerre. Marib est situé à un carrefour routier important, sur l’axe est-ouest autant que sur l’axe nord-sud. La région possède aussi des réserves d’hydrocarbures. Pas énormément, souligne Thomas Juneau, mais dans cette guerre qui s’étire, chaque source de revenus peut faire la différence.

PHOTO HANI MOHAMMED, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Des Yéménites inspectent le site d’un bombardement aérien mené par la coalition dirigée par l’Arabie saoudite, à Sanaa, le 5 décembre.

Les représentants du gouvernement reconnu par la communauté internationale avaient d’abord fui Sanaa vers Aden, dans le sud. Plus récemment, ils se sont repliés sur Marib, signale Thomas Juneau, même si plusieurs d’entre eux, dont le président Abdrabbo Mansour Hadi, passent l’essentiel de leur temps à l’extérieur du Yémen, notamment en Arabie saoudite. La chute de Marib n’est pas acquise, mais pas improbable non plus, dit ce spécialiste du Yémen.

La prise de Marib entraînerait-elle la fin de la guerre ? Ce n’est pas clair, mais elle forcerait la communauté internationale, qui soutient la coalition dirigée par l’Arabie saoudite, à se poser des questions de fond.

Si Marib tombe, il faudra se demander si on continue à soutenir une coalition qui n’a aucune chance de gagner la guerre.

Thomas Juneau, professeur affilié à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales à l’Université d’Ottawa et auteur de l’essai Le Yémen en guerre

D’autant que l’Arabie saoudite voit elle-même cette guerre comme une « cause perdue ». En même temps, elle appréhende l’effondrement du régime de Hadi et l’avènement d’un régime pro-iranien à sa frontière. « L’Arabie saoudite est coincée dans une guerre dont elle n’arrive pas à s’extirper », résume Thomas Juneau. D’autant plus que les houthis « ne sont pas des enfants de chœur, ils sont brutaux et obscurantistes ».

Facture humanitaire salée

En attendant, les civils écopent. Dans les camps de déplacés, un enfant sur dix souffre de malnutrition, constate la BBC dans un récent reportage. Tout le Yémen est frappé par une inflation galopante qui place la population devant des choix douloureux.

PHOTO CAROLINA FRANCHESCINI, FOURNIE PAR JASMIN LAVOIE

Jasmin Lavoie, coordonnateur média du Conseil norvégien des réfugiés

Les familles doivent choisir de quel aliment de base elles se privent : farine, lait, sucre ou poulet, raconte Jasmin Lavoie, coordonnateur média du Conseil norvégien des réfugiés. Joint à Sanaa, cet humanitaire québécois arrivé dans la capitale yéménite au mois d’août confie avoir été choqué par la destruction des infrastructures yéménites, au terme de presque huit ans de conflit armé.

« Les bombardements ont détruit des ponts, des écoles, des routes », dit-il. Le système scolaire est aussi en lambeaux, parce que les enseignants ne reçoivent plus de salaire et abandonnent le bateau.

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Deux fillettes dans le camp de déplacés d’al-Sumya, à l’est de Marib, le 24 novembre.

Selon l’UNICEF, 2 millions d’enfants sont privés d’école au Yémen. Le réseau médical est non fonctionnel pour la même raison, dans de nombreuses cliniques le personnel médical n’est plus payé, tandis que les hôpitaux manquent de tout, signale Nicolas Papachrysostomou, chef de mission de Médecins sans frontières au Yémen, joint à Aden cette semaine.

La faim

Selon un sondage mené par le Conseil norvégien des réfugiés auprès de 760 habitants du Yémen, 99 % d’entre eux doivent se priver d’au moins un aliment de base, en raison de l’explosion des prix. La moitié des répondants sont obligés de sauter au moins un repas par jour. Près des deux tiers cuisinent au bois, car ils ne peuvent plus se permettre de payer le propane dont le prix a quadruplé.

Résultat : de plus en plus de Yéménites souffrent de malnutrition. Et les plus fragiles en meurent. À l’hôpital de MSF dans la région de Hajjah, à une centaine de kilomètres de Sanaa, environ un nouveau-né sur quatre meurt à la naissance, signale Nicolas Papachrysostomou. Et le nombre d’enfants admis dans un état de sous-alimentation aiguë explose depuis un an.

PHOTO FOURNIE PAR NICOLAS PAPACHRYSOSTOMOU

Nicolas Papachrysostomou, chef de mission de Médecins sans frontières au Yémen

Le prix du pain a augmenté de 67 %, les gens n’ont pas de travail, les mères mal nourries donnent naissance à des enfants de très petit poids.

Nicolas Papachrysostomou, chef de mission de Médecins sans frontières au Yémen

Certains de ces poupons pèsent à peine 1,5 kg. Tandis que le nombre d’enfants admis à l’hôpital dans un état de malnutrition grave a doublé depuis un an. « La guerre au Yémen dure depuis longtemps, elle implique de nombreux acteurs, c’est un conflit complexe qui n’arrive plus à faire les nouvelles », déplore Nicolas Papachrysostomou.

Et les Yéménites n’ont pas fini de souffrir. Thomas Juneau n’est pas très optimiste quant à l’issue de ce conflit. « La dynamique actuelle n’est pas favorable à un dénouement pacifique. Les houthis se savent en position de force, ils n’ont aucune raison de reculer. » Aucune raison de faire des compromis, donc.

Tout indique que le Yémen n’en a pas fini avec la guerre.

La guerre du Yémen en dates

2011 Inspirés par les printemps arabes, des manifestants protestent contre le président Ali Abdullah Saleh à Sanaa, capitale du Yémen. Ce dernier doit céder le pouvoir à Abdrabbo Mansour Hadi.

2014 Les rebelles houthis, d’obédience chiite et proches de l’Iran, prennent contrôle de la capitale, Sanaa, et forcent Abdrabbo Mansour Hadi à fuir le Yémen.

2015 L’Arabie saoudite, aidée par une coalition de huit autres pays majoritairement sunnites, lance des frappes aériennes contre les forces houthies. La coalition est soutenue par les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France.

2017 L’ancien président Saleh est assassiné à Sanaa.

2021 L’ONU estime le bilan de la guerre au Yémen à 377 000 morts.

Syrie : escalade à Idlib

PHOTO OMAR HAJ KADOUR, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des partisans et des membres du groupe djihadiste Hayat Tahrir Al-Cham (HTC), qui contrôle la province rebelle d’Idlib, paradent dans la ville du même nom, le 20 août.

Le 20 octobre, un attentat contre un autobus en pleine heure de pointe a fait 14 morts à Damas. C’était l’attentat le plus meurtrier à frapper la capitale syrienne depuis 2017. Une heure plus tard, l’armée syrienne pilonnait la ville d’Ariha, près d’Idlib – ultime poche de rébellion contre le régime de Bachar al-Assad.

Ce dernier tente de convaincre la planète que la guerre qui déchire son pays depuis bientôt 11 ans est terminée. Pourtant, malgré un cessez-le-feu signé en mars 2020, le conflit se poursuit dans la province d’Idlib, qui abrite plus de 4 millions de Syriens, et qui est sous le contrôle de groupes djihadistes.

Selon le coordonnateur humanitaire adjoint de l’ONU Mark Cutts, les civils d’Idlib continuent à souffrir du conflit, malgré le cessez-le-feu. « Les gens d’Idlib sont coincés dans une zone de guerre », a-t-il dit à Al-Jazeera.

La défense civile syrienne affirme que la région d’Idlib a subi 700 raids aériens depuis l’été.

Pendant ce temps, rassuré par l’apparence de paix, le Danemark continue à renvoyer des réfugiés syriens vers leur pays d’origine – où ils risquent la détention et la torture, comme l’affirme Amnistie internationale dans un rapport récent, intitulé « Vous allez vers votre mort ».

La Bosnie-Herzégovine au bord de l’implosion ?

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Cérémonie sur la base militaire de Rajlovac, près de Sarajevo, le 10 décembre

La tension monte en Bosnie-Herzégovine, plus d’un quart de siècle après la fin d’une guerre civile meurtrière qui a fait 100 000 morts.

L’escalade pourrait avoir une issue dramatique. « Un conflit armé n’est pas impensable », affirme l’International Crisis Group dans une récente analyse.

Depuis les accords de Dayton qui ont mis fin à la guerre en 1995, ce pays de 3,5 millions d’habitants est formé de deux entités : la fédération de Bosnie-et-Herzégovine, qui regroupe la population bosniaque et croate, et la République serbe. Une présidence tripartite rassemble les représentants de ces trois peuples.

Or, depuis l’été, le président serbe Milorad Dodik menace de retirer sa république des institutions communes, dont l’armée ou le système de justice, ce qui aurait pour effet la désintégration de la Bosnie-Herzégovine.

Le 10 décembre, le Parlement serbe a fait un premier pas dans cette direction en adoptant une série de lois sécessionnistes qui entreront en vigueur dans six mois. Une voie dangereuse, selon le chef de l’opposition Mirko Sarovic.

La crise est exacerbée par des tensions au sujet d’une réforme électorale en prévision du scrutin de l’automne 2022. Et par les soutiens dont bénéficie Milorad Dodik à Moscou et à Belgrade.

Le cocktail est explosif. « La Bosnie-Herzégovine fait face à la plus grande menace existentielle depuis la fin de la guerre », avertit Christian Schmidt, représentant international pour la Bosnie-Herzégovine dans un rapport soumis à l’ONU début novembre.

L’est de la RDC s’enflamme

PHOTO SEBASTIEN KITSA MUSAYI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Un membre des forces armées de la RDC sur la route Mbau-Kamango, dans le Nord-Kivu, le 8 décembre

Une attaque contre un camp de personnes déplacées dans le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC) a fait plus d’une centaine de morts dans la nuit du 21 au 22 novembre. La majorité des victimes étaient des civils, selon le Baromètre sécuritaire du Kivu, ONG internationale qui documente la vague de violence qui s’abat sur cette région éprouvée de la RDC.

La nouvelle vague de violence s’intensifie depuis 2017 en Ituri et au Nord-Kivu, deux régions qui regorgent de richesses naturelles, notamment l’or. C’est en 2017 qu’a été créée une milice dont le nom ressemble à une ONG : Coopérative de développement du Congo (Codeco).

En réalité, les membres du Codeco sont en fait des hommes armés qui prétendent défendre l’ethnie lendu. L’attaque de fin novembre ciblait des membres d’un autre groupe ethnique, les Hema.

Notons que le gouvernement de Kinshasa a soumis cette région des confins de la RDC à un état de siège, pour mettre fin à cette explosion de violence.

Les rivalités entre Lendus et Hemas tirent leurs origines de la colonisation belge, qui aurait favorisé ces derniers.

Le groupe Codeco serait responsable de la mort de 300 personnes, dont 180 civils, depuis avril 2021.

Libye : le cessez-le-feu survivra-t-il à la présidentielle ?

PHOTO MAHMUD TURKIA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des manifestants sont rassemblés sur la place des Martyrs à Tripoli pour dénoncer la candidature à la présidentielle de Saïf al-Islam Kadhafi, fils du dictateur déchu, le 19 novembre.

Après des années de conflit armé, les factions libyennes ont conclu un cessez-le-feu en octobre 2020. Depuis, à l’exception de quelques escarmouches sporadiques, ce pays déchiré par des années de guerre civile vit dans une paix relative.

Une paix qui pourrait voler en éclats au lendemain de l’élection présidentielle dont le premier tour est prévu pour le 24 décembre.

Pas moins d’une centaine de candidats se disputent le vote. Et ce sont les trois les plus controversés qui ont le plus de chances de remporter la mise.

Il s’agit de Saïf al-Islam Kadhafi, fils de Mouammar Kadhafi, ancien président assassiné lors de la rébellion de 2011. De Khalifa Haftar, le général qui contrôle l’est du pays et qui s’était lancé à l’assaut de la capitale, Tripoli. Et d’Abdulhamid Dbeibah, actuel premier ministre.

La candidature de chacun des trois candidats a été contestée par ses adversaires, qui ne reconnaissent pas leur légitimité respective. Dans le cas de Saïf al-Islam, c’est la Commission électorale qui l’a jugé inéligible, en raison de son dossier judiciaire (il a passé les dernières années en prison). Mais il a réussi à faire casser cette décision par un tribunal.

Le danger, c’est que peu importe qui va remporter la mise de la présidentielle, ses adversaires jugeront qu’il s’agit d’une victoire illégitime, ouvrant la voie à une nouvelle explosion de violence. Selon Claudia Gazzini, analyste pour l’International Crisis Group sur la Libye, le meilleur moyen d’éviter ce potentiel de violence serait de reporter le scrutin – et de peaufiner les lois électorales libyennes d’ici là.

La famine s’abat (encore) sur le sud de Madagascar

PHOTO JOEL KOUAM, ARCHIVES REUTERS

Des enfants souffrant de malnutrition mangent au programme alimentaire d’Avotse, à Maropia-Nord, dans la région d’Anosy, dans le sud de Madagascar, le 30 septembre.

Il aura fallu l’assassinat d’un travailleur humanitaire, abattu le 7 décembre dans le sud de Madagascar, pour attirer l’attention sur la famine qui dévaste cette région abandonnée par la capitale.

Plus de 1 million de Malgaches du Sud ont besoin d’aide alimentaire. Certaines communautés sont carrément au bord de la famine.

Depuis deux ans, le nombre de personnes souffrant de la faim a triplé.

Cette tragédie fait suite à deux années de sécheresse.

Selon le programme alimentaire mondial (PAM), la famine qui dévaste l’île est la première directement causée par les changements climatiques – et certainement pas la dernière.

La Birmanie sombre dans une crise humanitaire

PHOTO RAJIB RAIHAN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Des réfugiés rohingya, dans la ville portuaire de Chattogram, dans le sud du Bangladesh, le 15 février

Le 1er février 2020, l’armée birmane a pris le contrôle du pays, renversant l’ancienne opposante Aung San Suu Kyi qu’elle accusait d’avoir falsifié les élections qu’elle avait remportées haut la main deux mois plus tôt.

Depuis ce coup d’État, le pays s’enfonce dans une crise humanitaire de plus en plus grave.

Des violences qui éclatent dans diverses régions du pays forcent des Birmans à rejoindre les rangs des personnes déplacées.

Selon l’ONU, 3 millions de Birmans ont besoin d’aide humanitaire.

Et c’est sans compter la répression s’abattant sur les partisans d’Aung San Suu Kyi, qui vient d’être condamnée à deux ans de prison. Sans compter, aussi, les réfugiés rohingya, dont plus de 1 million croupissent toujours dans les camps du Bangladesh, plus de quatre ans après les massacres qui les ont forcés à fuir la Birmanie.