Les travailleurs de l’industrie du vêtement chargés de fabriquer, dans les pays en développement, les produits prisés des consommateurs occidentaux ont été durement touchés par la pandémie de COVID-19.

Une étude produite par l’Université de Sheffield en collaboration avec le Worker Rights Consortium (WRC) indique que leur situation s’est sensiblement détériorée, augmentant du même coup les risques de travail forcé.

« J’ai été surpris par l’importance et la prévalence des abus rapportés. Dans toute ma carrière d’enquêteuse sur le terrain, je ne pense pas avoir déjà été confrontée à autant de détresse parmi un groupe de travailleurs », relève en entrevue Penelope Kyritsis, analyste du WRC qui a coécrit le rapport.

Un sondage mené auprès de 1100 travailleurs répartis dans quatre pays exportateurs de vêtements, soit l’Éthiopie, le Honduras, l’Inde et la Birmanie, indique que près de 20 % des travailleurs ont dû se trouver un nouvel emploi, souvent avec des conditions moindres, après avoir été mis à pied en raison de la pandémie et que 10 % n’ont pu se recaser.

Le revenu mensuel moyen a reculé de 627,45 $ US à 560,36 $ US, une baisse de près de 11 % qui a forcé nombre de travailleurs à piger dans leurs réserves pour répondre aux besoins de première nécessité de leur famille.

« Leur filet de sécurité s’est tout simplement évaporé », souligne Mme Kyritsis, qui évoque notamment le cas de travailleurs forcés de sauter des repas ou de cumuler les emplois pour rester à flot.

Plus de 60 % des répondants affirment avoir été forcés d’emprunter de l’argent, souvent à des taux usuraires, pour couvrir les coûts de logement et de nourriture. La dette moyenne a bondi de 1835,23 $ US à 2125,48 $ US, soit une hausse de 16 %. En Éthiopie, elle a carrément doublé.

Violence et intimidation

Certaines des personnes sondées ont indiqué qu’elles avaient subi des menaces ou des actes de violence en raison des créances accumulées, qui limitent leur capacité à quitter leur emploi, même lorsque les conditions de travail se détériorent gravement.

Plus du tiers des travailleurs ont indiqué avoir été victimes de violence verbale ou d’intimidation dans leur milieu de travail alors que le quart ont dû subir des retenues ou des déductions salariales injustifiées. Un répondant sur cinq a affirmé par ailleurs que l’accès à l’eau et aux toilettes avait été restreint pendant la pandémie.

PHOTO EDUARDO SOTERAS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Usine de chaussures en Éthiopie

Les auteurs du rapport relèvent que les multinationales de l’industrie du vêtement, qui exercent un effet déterminant sur les chaînes d’approvisionnement, ont largement contribué à la situation en serrant la vis à leurs fournisseurs, les forçant à prendre des mesures draconiennes.

Certaines ont évoqué des clauses de « force majeure » pour annuler, sans compensation, des commandes qui étaient parfois en cours de production ou ont payé tardivement leurs fournisseurs, allant parfois jusqu’à couper tout lien avec leurs dirigeants. Toutefois, le rapport n’épingle pas nommément d’entreprises.

[Les firmes] ont priorisé le profit plutôt que leurs engagements sociaux et utilisé leur pouvoir disproportionné ainsi que la distance géographique et légale les séparant de leurs fournisseurs à leur avantage.

Extrait du rapport de l’Université de Sheffield et du Worker Rights Consortium

« C’est un problème touchant l’ensemble de l’industrie », relève Mme Kyritsis, qui blâme aussi les gouvernements en place pour la détérioration des conditions de travail observées.

Les États d’où proviennent les multinationales de l’industrie du vêtement devraient, souligne le rapport, réclamer plus de transparence quant à la manière dont elles gèrent leurs chaînes d’approvisionnement de façon à éviter « l’exploitation » des travailleurs dans les pays en développement.

Les investisseurs devraient par ailleurs se montrer plus vigilants et exiger des engagements fermes des entreprises du secteur pour qu’elles agissent de manière « responsable », relève Mme Kyritsis, qui insiste sur la nécessité de mettre en place des mesures contraignantes.

« Le système en place a échoué durant la pandémie à protéger les travailleurs parce que les engagements corporatifs qui sont annoncés se font sur une base volontaire », déplore-t-elle.